Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Réinvestigation

Sur la base de sources publiques, retour sur des affaires restées énigmatiques.


LA MORT DE PIERRE BÉRÉGOVOY (II)

Publié le 29 Avril 2023, 16:11pm

 

     Le 1er mai 1993, entre 17 h 25 et 17 h 50, sur le terrain de camping de Nevers, situé sur la rive gauche de la Loire, Pierre Bérégovoy préside une séance de remise de prix d’un concours régional de canoë-kayak. Vers 17 h 50, sa voiture de fonction, occupée par son chauffeur, au volant, et lui-même, sur le siège passager avant, quitte le terrain de camping. Elle se dirige vers le pont de Loire, selon le témoignage du gardien de camping de l’époque, étayé par ceux du chauffeur et du garde du corps, selon lesquels leur patron venait de leur déclarer vouloir se rendre au Palais ducal (une annexe de la mairie, située en face) [3]. Elle franchit le pont, puis rejoint un véhicule stationné sur la rive droite du fleuve, à proximité duquel elle stationne, à son tour. Au volant (ou au guidon, s’il s’agit d’un deux-roues [4]) de ce véhicule se tient une personne dont on a tout lieu de penser qu’elle s’apprête à tenir un rôle qu’aucun des deux préposés au service ordinaire de P. Bérégovoy n’est en mesure de tenir. Si ce dernier monte dans un nouveau véhicule, cela ne peut être que pour au moins l’une des trois raisons suivantes : il lui faut aller à un endroit que ni lui ni son chauffeur ni son garde du corps ne peuvent trouver eux-mêmes ; seul le conducteur de ce second véhicule doit l’y accompagner ; il lui faut s’y rendre dans un véhicule non reconnaissable, autrement dit n’étant pas l’un de ses véhicules habituels (ainsi, à la rigueur, pourrait-il s’agir d’un véhicule qu’il a loué ou qu’on a loué pour lui, et dont il pourra être lui-même le chauffeur et le seul occupant). Dans l’hypothèse la plus probable où quelqu’un se trouve déjà au volant de ce second véhicule, il s’agit donc d’un intermédiaire, sans doute une connaissance de Pierre Bérégovoy, dont le rôle est de conduire l’ancien premier ministre à un rendez-vous et de mettre en confiance ou en communication ses participants (rendez-vous dont ce même intermédiaire ignore peut-être la finalité réelle – détail dont nous verrons qu’il est sans grande importance pour la suite des événements). Avant de quitter son véhicule pour prendre place dans celui de l’intermédiaire, Pierre Bérégovoy – à moins qu’il ne l’eût fait, pendant le trajet – donne à son chauffeur la consigne de retourner au terrain de camping, pour y retrouver le garde du corps, puis de revenir le chercher sur le pont de la Jonction (qui chevauche l’écluse de Rombois), situé sur la commune de Sermoise, à la limite de la commune de Nevers [5]. Mais, auparavant, il lui annonce avoir à donner un appel téléphonique confidentiel (probablement l’appel de 17 h 53, d’une durée de trente-six secondes, relevé par les enquêteurs), qui oblige, comme à l’accoutumée, son employé à sortir de la voiture (Il peut aussi lui avoir demandé d’aller conseiller à l’intermédiaire de patienter quelques secondes, et l’avoir ainsi d’autant plus obligé à s’éloigner et à se détourner du véhicule). Il en profite alors pour s’emparer du revolver 357 Magnum laissé par son garde du corps dans la boîte à gants [6].

     Après avoir repassé le pont de Loire et la route de Lyon (D 907), le véhicule de l’intermédiaire, occupé par ce dernier et par Pierre Bérégovoy, emprunte la route de Sermoise (D 13), gagne le pont enjambant le canal de la Jonction (sur lequel et autour duquel se trouvent quelques promeneurs), le franchit, puis ou bien s’arrête à l’entrée du chemin de contre-halage [7] ou sur la petite aire de stationnement située en face, de l’autre côté de la route, ou bien tourne sur le chemin de contre-halage, avant de s’arrêter, en contrebas, à une centaine de mètres du pont (dernière option a priori sans doute la plus discrète). Il est environ 17 h 57 [8]. Muni du revolver de son garde du corps (ce qu’ignore peut-être l’intermédiaire), Pierre Bérégovoy se dirige, à pied, sur le chemin de contre-halage, que borde un bois, à l’est (peut-être toujours en compagnie de l’intermédiaire, dont il peut avoir été convenu, auparavant, qu’il ne tarderait pas à repartir, une fois le contact assuré). Il se dirige vers le lieu du rendez-vous, situé à environ 250 mètres du pont, à un endroit du bois dont la lisière et la portion du chemin qui la longe, légèrement incurvés, sont invisibles depuis l’entrée du chemin et la partie est du pont. Il a rendez-vous avec une personne qui est censée lui remettre des documents et/ou à laquelle il est censé en remettre [9]. Il s’est muni d’une arme, pour se rassurer, à l’occasion de ce qu’il estime s’annoncer comme un rendez-vous incertain, quant à ses véritables tenants et aboutissants, voire risqué (le lieu même du rendez-vous – qui a pu lui être vaguement indiqué, dans l’après-midi, lors d’un appel téléphonique – a pu insinuer en lui le doute, en tout cas lui suggérer la méfiance ou la simple précaution [10]). Il mâchonne un chewing-gum – qui sera retrouvé dans sa bouche par les soignants, à l’hôpital – peut-être par habitude et/ou pour tromper l’anxiété ou la simple nervosité, voire pour se soigner de troubles intestinaux passagers, pour lesquels il avait consulté un médecin parisien, deux jours auparavant.

 

 

 

[3] Il s’agit d’un élément commun aux témoignages du chauffeur et du garde du corps et non de leurs témoignages entiers sur la question, puisque, par ailleurs, le chauffeur déclare avoir conduit P. Bérégovoy du terrain de camping jusqu’au pont de la Jonction, sans quitter la rive gauche du fleuve et en ne faisant qu’un léger détour par le lieu-dit Le Peuplier Seul (parfois nommé Le Peuplier Solitaire ou Le Peuplier Isolé), endroit à demi sauvage situé quasiment à égale distance du camping et du pont ; déclaration que soutiendra aussi le garde du corps. Précisons que cette partie de notre récit faisant état d’un détour par la rive droite, d’un changement de véhicule, voire de l’entrée en contact avec un intermédiaire avant l’arrivée à destination sur les bords du canal, demeure, en l’état, hypothétique et pourra donc être infirmée ou fragilisée par de nouveaux éléments. Le gardien du camping semble n’avoir pas réitéré publiquement son premier témoignage, après avoir subi des pressions policières, dès le soir du 1er mai 1993. Il a été retrouvé tué d’une double décharge de fusil dans le ventre, quelques années plus tard. Officiellement, il s’est agi d’un suicide. À notre connaissance, son témoignage, recueilli par une journaliste de la presse écrite, n’a été publié qu’en 2008, par un documentariste, dans l’un de ses films documentaires, la journaliste n’en ayant, par ailleurs, jamais fait état dans l’un de ses articles. Si l’on en juge au contenu de ce témoignage indirect, tel que rapporté dans le documentaire, le témoignage du gardien de camping était plus détaillé que ce que le documentaire en rapporte – en un redoublement de témoignage indirect, donc – (notamment sur l’heure précise à laquelle la voiture de fonction de M. Bérégovoy a quitté le camping) et que ce que pourrait donc en avoir rapporté la journaliste, au cas où l’on admettrait que son témoignage a été repris intégralement dans le documentaire. Parmi les enquêteurs, publics ou privés, ayant publié le résultat de leur enquête, seul ce documentariste semble avoir fait cas de cette piste. Notons que, dans un communiqué publié le lendemain de la mort de Pierre Bérégovoy, le Procureur de la République de la Nièvre déclarait : « [Pierre Bérégovoy] a demandé à son chauffeur de le conduire au Palais ducal pour quelques instants. En fait, dès la sortie du camping, il a enjoint le chauffeur de prendre la direction de la piscine de la Jonction. Le véhicule l’a ainsi conduit, au-delà de la piscine, au lieu-dit Le Peuplier Isolé » (cf. notes 5 et 6). Depuis le terrain de camping, ladite piscine était dans la direction opposée au Palais ducal. Il reste que l’hypothèse d’un changement de véhicule sur la rive droite, qui aurait nécessité un détour par cette même rive, n’a pu avoir lieu qu’à l’abri des regards, puisque, à notre connaissance, aucune personne qui aurait été étrangère à l’opération n’en a été témoin ; absence de témoin qui peut tout aussi bien infirmer que ne pas infirmer l’hypothèse, tellement une telle opération pourrait avoir été considérée par ses exécutants comme devant rester secrète ou très discrète. Pour ce qui est du franchissement du pont de Loire, seul le gardien du camping est censé en avoir témoigné, mais sans que l’on puisse être sûr qu’il en avait été le témoin visuel : il pourrait avoir vu que la voiture tournait sur la droite, à la sortie du camping, mais sans voir qu’elle allait faire demi-tour, quelques mètres plus loin, à l’intersection de la route de Lyon (D 907) (demi-tour qui lui aurait échappé, parce qu’une maison, située à l’angle de cette route et de la rue de la Jonction, obstruait son champ de vision et parce qu’il aurait fini par tourner le dos à la rue de la Jonction), à moins que, carrément, comme nous en émettons l’hypothèse dans la note 6, la voiture n’eût emprunté, depuis l’intersection, la départementale vers le sud, pour gagner la route de Sermoise, ce qu’il ne pouvait pas plus voir. Ensuite, il aurait extrapolé, en parlant de franchissement de la Loire, conformément à ce qu’avait annoncé vouloir faire Pierre Bérégovoy.

 

[4] Hypothèse que pourraient étayer les témoignages parlant du départ, en trombe, d’un véhicule – le bruit évoquant une moto – très peu de temps après les détonations. Si Pierre Bérégovoy est arrivé, en passager d’une moto, et étant donné que les mêmes témoignages s’offrent comme étant strictement auditifs – émanant de personnes situées dans le jardin de leur pavillon de résidence, le long du chemin de halage, à environ 150 mètres du pont – il pourrait donc avoir été déposé sur le versant est du bois, autrement dit sur le bord de la route de Sermoise (D 13), voire dans un renfoncement du bois (une clairière où se trouve aujourd’hui un parking), endroits assurément beaucoup plus à l’abri des regards que le versant ouest et le pont de la Jonction, où se tenaient – et se tiennent ordinairement – les promeneurs (Sur le versant est, la route est assez étroite et, en outre, plate et rectiligne, ce qui favorise la vitesse des véhicules, et, par ailleurs, le paysage est, de part et d’autre, médiocre, le canal n’y étant notamment pas visible, le tout rendant la route peu engageante pour des promeneurs). Après avoir démarré, la moto n’aurait pas eu à repasser par le pont mais aurait pu filer au sud, pour gagner la D 200, puis l’un des deux grands axes routiers que sont la N 7 et la N 81 (aujourd’hui D 281). Étant donné que les témoins auditifs étaient situés en contrebas et au sud du pont, la moto pourrait avoir éventuellement démarré, sur la petite aire de stationnement située de l’autre côté de la route de Sermoise, au nord du pont, juste en face de l’entrée du chemin de contre-halage, où elle aurait pu avoir auparavant déposé M. Bérégovoy, et où elle aurait été invisible pour de tels témoins. On admettra néanmoins que ce motard – notamment s’il a lancé son engin, depuis le versant est du bois – pourrait n’avoir été ni plus ni moins que le tueur.

 

[5] Pierre Bérégovoy venait de laisser son garde du corps au terrain de camping, avec la consigne d’y attendre et d’y faire patienter son premier adjoint à la mairie, qu’il avait, à plusieurs reprises durant l’après-midi, cherché vainement à contacter, avant de finalement demander à la secrétaire de mairie de lui en transmettre le message, lorsqu’elle pourrait le joindre. Avant de quitter le terrain de camping, il a clairement laissé entendre, autour de lui, qu’il n’allait pas tardé à y être de retour. D’ailleurs, une autre manifestation publique, une soirée musicale, qui débutait à 18 h 30, était inscrite à son agenda, ce dont le chauffeur était prévenu. Comme nous le verrons, pas plus d’une quinzaine de minutes n’ont pu s’écouler entre son dépôt au pont de la Jonction et le retour de sa voiture de fonction à peu près au même endroit (à 250 mètres en contrebas du pont – et non à 130 ou 150 mètres, comme on le trouve souvent dit, sans doute à la suite d’une fausse information très tôt diffusée dans le but de justifier le premier récit du garde du corps, selon lequel Pierre Bérégovoy s’était donné la mort dans sa voiture de fonction arrêtée à une centaine de mètres en contrebas du pont, et sans doute aussi afin de tenir le public éloigné de l’endroit exact). D’un autre côté, à notre connaissance, aucun témoignage ne fait état de la présence ou de l’absence de la voiture au terrain de camping, pendant ce quart d’heure. Bien que la voiture s’y est certainement trouvée dans cet intervalle, elle a pu le faire juste le temps nécessaire à ce que le chauffeur retrouve le garde du corps et que celui-ci prenne place dans le véhicule. Autrement dit, Pierre Bérégovoy pourrait avoir eu, auparavant, demandé à son chauffeur d’aller patienter ailleurs qu’au terrain de camping avant de revenir au pont de la Jonction. Il aurait pu faire cette demande, sachant que le chauffeur ignorait que le garde du corps n’avait pas son arme de service sur lui, voire s’il l’avait ou ne l’avait pas : dans les deux cas, un coup d’œil jeté par le chauffeur dans la boîte à gants vide ne pouvant le mettre en alerte. Dans l’hypothèse où le chauffeur aurait su que le garde du corps n’avait pas son arme sur lui, et dans l’hypothèse où il aurait ouvert la boîte à gants, il se serait subitement alarmé de l’absence du revolver et aurait décidé de rejoindre son propriétaire, au lieu que ce soit ce dernier qui se serait rendu compte de sa disparition, au moment où le chauffeur venait le prendre, comme le prétend la thèse officielle. Son lieu d’attente pourrait avoir été le lieu-dit Le Peuplier Seul, situé sur la même rive du fleuve, à environ quatre cents mètres à l’est du camping, non loin de la piscine indiquée par le Procureur dans son communiqué, lieu-dit vers lequel, selon la version officielle, Pierre Bérégovoy aurait fait diriger le véhicule, dès sa sortie du terrain de camping, pour l’y faire stationner et en faire sortir le chauffeur, en prétextant un appel téléphonique à donner, afin de pouvoir s’emparer de l’arme du garde du corps rangée dans la boîte à gants.

 

[6] Au cas où Pierre Bérégovoy aurait tenu à ce que le changement de véhicule et/ou l’identité de l’intermédiaire restent inconnus de son chauffeur (éventuellement parce qu’il l’aurait soupçonné, ainsi que son garde du corps, d’être un agent double, chargé à la fois de le servir et de l’espionner ou, tout au moins, de le surveiller, comme l’hypothèse a été avancée par certains), il pourrait, après s’être fait déposé, avoir traîné à rejoindre le nouveau véhicule, par exemple, en s’attardant à acheter un brin de muguet à un jeune vendeur, posté « sur le pont », comme un tel individu, âgé de huit ans à l’époque, est censé l’avoir rapporté à l’épouse de Pierre Bérégovoy, quatre ans plus tard (Gilberte Bérégovoy a ensuite confié ce témoignage à une journaliste – dont il a été question dans la note 3 – qui l’a mentionné dans un article paru en 1997, mais sans nommer ni situer le pont en question, quoique en semblant bien sous-entendre qu’il s’agissait du pont de la Jonction, comme le confirmera, d’ailleurs, un autre journaliste, en 2021). Dans l’hypothèse d’un détour par la rive droite pour y changer de véhicule, le pont où se trouvait le vendeur de muguet ne pourrait qu’être le pont de Loire, et non le pont de la Jonction. Notons que l’achat de ce brin de muguet serait survenu, alors même que Pierre Bérégovoy en avait acheté deux autres, chez un fleuriste, peu après midi, lors d’un déplacement à pied entre le Palais ducal et son domicile de la rue Saint-Martin – deux brins qu’il destinait, l’un, à sa femme, à qui il l’aura sans doute offert, dès son arrivée à son domicile, où elle se trouvait, l’autre à sa sœur, chez qui il s’apprêtait à aller déjeuner, en compagnie de sa femme, et à laquelle il l’offrira, en effet, à cette occasion. Du reste, soit qu’il se rendait à un rendez-vous secret, soit qu’il allait mettre fin à ses jours, on comprend mal pourquoi il aurait commandé à son chauffeur, comme celui-ci le prétend, de le déposer sur le pont de la Jonction – ou, plus exactement, quasiment sur lui, puisque juste après lui, à l’entrée du chemin de contre-halage – endroit dans lequel ou dans les parages duquel, selon ce même chauffeur, se trouvait une quinzaine de promeneurs, plutôt que de le déposer en contrebas de ce même pont, sur le chemin de contre-halage, habituellement beaucoup moins fréquenté que le pont et le chemin de halage. En effet, il prenait le risque d’être facilement reconnu et d’être suivi ou retardé par un admirateur, un curieux ou un plaisantin, voire simplement par une connaissance (du reste, le même argument pouvant infirmer l’hypothèse qu’il s’y serait attardé pour acheter un brin de muguet – voir supra et infra). Au demeurant, comme nous le voyons, il n’est pas absolument exclu qu’il se soit passé du service d’un intermédiaire et que son chauffeur l’ait bien déposé, là où il le prétend, après avoir emprunté, depuis le terrain de camping, soit la rue et le quai de la Jonction, soit la rue de la Jonction et le chemin de contre-halage – qui, à cet endroit, à savoir dans sa partie située au nord du pont de la Jonction, longe le port fluvial et la piscine, jusqu’au pont – c’est-à-dire, dans les deux cas, l’un des deux chemins les plus courts entre le terrain de camping et le pont de la Jonction ; ou encore après avoir emprunté la route de Lyon (D 907) et la route de Sermoise (D 13) (dernière hypothèse qu’appuierait, outre une interprétation possible du témoignage du gardien de camping, telle qu’énoncée dans la note 3, le fait que, avant de quitter le terrain de camping, M. Bérégovoy a fait savoir, autour de lui, qu’il comptait se rendre au Palais ducal, dans la mesure où il aurait pu faire cette annonce, à seule fin de brouiller les pistes ; auquel cas, il devait, néanmoins, à la suite de cette annonce, gagner l’intersection de la route de Lyon, pour éviter d’être aperçu, depuis le terrain de camping, se dirigeant vers le quai de la Jonction, et de laisser ainsi constater qu’il avait menti ou changé d’avis, même si, à la rigueur, il était aussi possible de le constater, en remarquant que la voiture ne franchissait pas le pont de Loire, visible depuis le terrain). Il reste encore que son chauffeur peut l’avoir déposé sur le pont de la Jonction, soit en même temps que l’intermédiaire, après avoir embarqué les deux sur la rive droite de la Loire, soit alors que l’intermédiaire s’y trouvait déjà, celui-ci ayant alors eu pour simple tâche de venir, au tout dernier moment, au-devant de M. Bérégovoy, pour le mettre en confiance et lui indiquer l’endroit précis du rendez-vous (Selon l’inspecteur des Renseignements Généraux ayant enquêté sur l’affaire, l’intermédiaire se trouvait déjà avec les tueurs, dans le bois, à attendre M. Bérégovoy, mais sans être leur complice – du moins leur complice intentionnel... ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser la question de la raison pour laquelle il aurait survécu jusqu’en 2000… et peut-être même au-delà… puisqu’il s’agit de James Andanson, l’un des photographes attitrés de l’hôtel Matignon, qui entretenait des relations de voisinage provincial et d’amitié avec Pierre Bérégovoy. Selon un journaliste anglais, cité dans le documentaire consacré au photographe, Andanson était un agent du MI 6. Selon des rumeurs, il avait assuré sa protection en ayant déposé chez son notaire un millier de pellicules photographiques issues de son activité de paparazzi, par laquelle il complétait son métier de photographe officiel de célébrités ; pellicules dont on peut comprendre qu’elles n’avaient pas encore été développées, et qui furent plus tard – sans que l’on sache trop si ce fut avant ou après la mort du photographe – déposées par le notaire dans le coffre d’une banque à Madagascar, et dont le repérage et le vol pourraient avoir ouvert la voie à l’élimination physique de leur propriétaire, nonobstant que, quelques jours après sa mort, son agence de photographe de presse sera cambriolée… Selon le journaliste et le documentariste ayant chacun publié en 2008 leur enquête sur la mort de Pierre Bérégovoy – le second ayant aussi enquêté et publié sur la mort de la princesse Diana – Andanson a confié à des proches avoir été présent à Nevers, le 1er mai 1993, ainsi qu’à Paris, sous le pont de l’Alma, le 31 août 1997, au moment de la fin tragique de la princesse.) Dans le cas des trajets les plus longs – avec ou sans crochet par la rive droite du fleuve – il fallait néanmoins à Pierre Bérégovoy dérober l’arme, ou bien dès le terrain de camping, ou bien à l’occasion d’un arrêt, à n’importe quel endroit du parcours emprunté, mais qui ne pouvait être Le Peuplier Seul (situé à l’est du camping, près de la piscine et de la portion nord du chemin de contre-halage, alors que la D 907 – passage obligé du chemin le plus long – est située à l’ouest). Pour ce qui est de la façon d’emprunter discrètement, à pied, le pont de la Jonction et ses abords (notamment l’entrée du chemin de contre-halage, plus exactement l’entrée de sa partie sud, qui débute au pont), ces endroits pourraient avoir offert une aire suffisamment dépeuplée, permettant à Pierre Bérégovoy de gagner le chemin de contre-halage, et même, avant cela, de s’attarder à acheter un brin de muguet à un enfant, sans risque d’être abordé par un importun ; cet achat aurait pu avoir – comme dans l’hypothèse de son effectuation sur le pont de Loire – pour finalité de tromper son chauffeur, au moment où il aurait souhaité le voir s’éloigner au plus vite, afin qu’il ne le voit pas emprunter le chemin de contre-halage, contrairement à ses habitudes et/ou à son intention déclarée (Le fait qu’il lui aurait demandé de le déposer à l’entrée de ce chemin pourrait s’être justifié, aux yeux du chauffeur, par le fait que c’était à peu près, sinon exactement, l’endroit où se trouvait le vendeur).

 

[7] Pour plus de clarté, nous nommons « chemin de contre-halage » (ainsi que nous l’avons parfois trouvé nommé) le chemin qu’a emprunté Pierre Bérégovoy, sur la rive est du canal de la Jonction, par opposition au « chemin de halage » située sur la rive opposée. À l’époque, ce dernier était aménagé pour la promenade, à la différence du premier, qui l’a été depuis. Le chemin de halage était un chemin où Pierre Bérégovoy allait parfois se promener. Quant au bois que longe le chemin de contre-halage, il s’agissait et s’agit encore d’une bande boisée, enclavée entre le canal et la route de Sermoise, large d’une quarantaine de mètres, à l’endroit où Pierre Bérégovoy a été retrouvé agonisant, et se rétrécissant jusqu’à une largeur d’une vingtaine de mètres, au sud. Bordé de platanes, à l’ouest et à l’est, il abrite un sous-bois composé – lorsque nous l’avons visité et donc sans doute déjà à l’époque des faits – d’arbustes inermes, de joncs et de carex, végétation non épineuse formant, à certains endroits, des fourrés.

 

[8] Il ne nous a fallu que 2 mn 20, un premier samedi de mai, vers 17 h 30, pour relier, en voiture, via la route de Sermoise et la D 907, tout en respectant les vitesses autorisées et un feu rouge, le pont de la Jonction à la portion du boulevard Pierre de Coubertin située juste en face du terrain de camping, sur la rive opposée de la Loire, à un endroit qui – avec son pendant, à l’ouest, le petit parking de la place Mossé, très sombre sous une plantation de tilleuls, auquel on accède en contournant un rond-point, qui permet aussi l’accès au quai de Mantoue, aire de stationnement longeant le boulevard – se trouve être l’endroit le plus proche de la sortie du pont de Loire. En laissant un délai d’une minute pour permettre le changement de véhicule – sous réserve que l’endroit choisi pour ce changement eût été plus éloigné du pont de la Jonction que ne le sont le quai de Mantoue ou la place Mossé, les endroits les plus probables – on obtient 3 mn 20 s, que l’on ajoutera à 17 h 53 mn 40 s, heure de la fin de l’appel téléphonique ; ce qui donne, à l’arrivée au pont de la Jonction, 17 h 57, heure parfaitement logique, si un rendez-vous était bien fixé, selon toute vraisemblance, à 18 heures (Heure d’arrivée dont on notera qu’elle peut être avancée d’environ deux minutes, en cas de non détour par la rive droite du fleuve – cf. notes 3 et 6). Parmi les deux premiers promeneurs arrivés sur les lieux du drame, juste après le chauffeur et le garde du corps, l’un d’eux – un jogger – a relevé, à son bracelet chronomètre, dès son arrivée, qu’il était 18 h 12. Il venait de rejoindre le premier promeneur – une infirmière se promenant en famille (famille qu’elle venait de laisser sur la rive opposée) – qui l’avait devancé de quelques secondes seulement. Étant donné que c’est l’arrivée du chauffeur et du garde du corps, en voiture, « à toute vitesse », sur le chemin de contre-halage, qui a intrigué l’infirmière, alors qu’elle se situait, sur la rive opposée, sur le chemin de halage, « à 300 mètres du pont », et étant donné qu’elle a donc dû ensuite franchir 600 mètres, pour les rejoindre, auprès de Pierre Bérégovoy mortellement blessé – d’abord, en franchissant 30 mètres, pour parvenir à leur niveau et essayer de communiquer avec eux, par-dessus le canal, pendant quelques secondes, puis en franchissant 280 mètres, pour parvenir à une maison, située à l’angle du chemin de halage et de la route de Sermoise, et demander à sa propriétaire de prévenir police secours, et, à la sortie de la maison, pour échanger quelques mots avec le chauffeur posté « à l’entrée du pont », enfin, en franchissant les 290 mètres restants, le tout n’ayant probablement pas été effectué en plus de 6 minutes 30 secondes, grand maximum (un pas pressé, dont on a tout lieu de penser qu’il fût celui de l’infirmière, au moins pour les 570 derniers mètres – il pourrait même avoir été entrecoupé d’un pas de course – étant d’une vitesse d’au moins 6 km/h, il permet de parcourir les 600 mètres en six minutes, auxquelles on ajoutera 30 secondes de sur-place, pour les moments d’expectative, face à la scène qui se déroulait, au loin, sous ses yeux, et pour la tentative de communication orale, par-dessus le canal) – le chauffeur et le garde du corps sont donc arrivés, au plus tôt, à 18 h 06. Cet horaire laisse le temps aux trois personnes alertées par les détonations, qui ont probablement eu lieu, vers 18 h 02 (sur ces personnes et l’heure des détonations, voir la suite de notre reconstitution), d’avoir franchi, du pas rapide qui fut le leur, la distance d’environ quatre cents mètres les séparant de l’endroit où sera retrouvée la victime, et d’y être arrivées – du moins, à ses abords – à un moment où la voiture de fonction n’est pas encore arrivée, puis, s’étant fait expulser, de l’avoir quitté, alors que la voiture n’est toujours pas là. À noter que, de son côté, l’infirmière assure, devant les enquêteurs, ne pas avoir entendu les détonations, alors qu’elle se trouvait à une distance de leur point d’origine que l’on peut estimer à environ 300 mètres (étant donné que, entre 18 h 02 et 18 h 06, elle aura probablement franchi, à pied, en menant son enfant en poussette, environ 270 mètres, à la vitesse ordinaire de 4 km/h), détonations pourtant très bruyantes, dans la mesure où elles seraient issues d’un 357 Magnum, et alors que, d’une part, un plan d’eau – le canal – très propagateur d’ondes acoustiques, se trouvait entre elle et leur point d’émission, et que, d’autre part, le temps humide – 72% d’humidité relative – en cette fin d’après-midi-là, sur Nevers, était favorable à la propagation de telles ondes. Dans l’hypothèse où le témoin n’aurait pas menti, plusieurs facteurs pourraient expliquer le phénomène, que nous avons classés selon ce qui nous a paru être un ordre décroissant d’incidence : 1) la présence d’un vent défavorable, arrivant d’ouest-nord-ouest (alors qu’elle arrive du sud-sud-est), de 11 km/h (sensible au visage et agitant les feuilles), soufflant par rafales, vent que peut attester le fait que, par intermittence, elle ne parvient pas à distinguer les mots qu’échangent, entre eux, à haute voix, les deux hommes, ni même un mot que lui crie le chauffeur, alors qu’elle n’est plus séparé de lui que par les 12 mètres de la largeur du canal – la manière dont elle décrit le phénomène pouvant même laisser aussi supposer, outre un bruissement de végétation, une topographie défavorable à la propagation des sons, du fait d’une éventuelle interférence entre la réflexion à la surface de l’eau et celles aux surfaces latérales des zones boisées bordant le canal, voire entre ces seules dernières : « Puis j’entends : “C’est monsieur...” La fin se perd dans l’écho sous les arbres » ; 2) le fait que, comme nous l’avons expliqué, dans la note 2, Bérégovoy tirait très probablement, en direction de l’est ; or, l’angle de propagation maximale de l’onde sonore d’une arme à feu étant de 60° autour de la ligne de tir, l’infirmière pourrait s’être trouvée à l’extérieur de cet angle, à la différence des trois personnes (dont nous avons déjà parlé et dont nous reparlerons) qui se trouvaient plus à l’est et au sud qu’elle (le témoignage des quatre pouvant, bien sûr, réciproquement, être tenu pour constituer un indice supplémentaire du fait que Bérégovoy tirait vers l’est) ; 3) la présence d’une végétation en pleine frondaison : d’une part, la broussaille et l’herbe haute, à l’intérieur et en lisière du bois, et, d’autre part, les arbres, notamment les gros platanes, aux troncs hauts et larges et à la frondaison très ample et dense, plantés, à court intervalle, parfois en double file, à la lisière du bois – pas moins de 9 d’entre eux sont dénombrables, le long de la trentaine de mètres saisis par l’objectif du photographe, près de la scène du drame ; 4) enfin, le fait que, se promenant avec son mari et son enfant en poussette, des échanges vocaux entre eux ont pu interférer avec les détonations, aucun passage d’avion à réaction ou de coup de tonnerre n’ayant, par contre, été rapportés. Autant de facteurs auxquels ont, d’ailleurs, pu s’adjoindre d’autres, comme le gradient vertical de température, à savoir l’augmentation ou la diminution de la température, selon l’élévation dans la troposphère, qui causent respectivement l’affaiblissement ou le renforcement de la propagation des sons au sol – facteur qu’il ne nous a pas été possible de prendre en compte, faute de données suffisantes, bien qu’il puisse avoir été le plus puissant des facteurs. Au demeurant, elle pourrait avoir entendu les détonations, mais sans avoir pu les interpréter autrement que comme étant un composant banal du fond sonore ambiant, ce qui l’empêcherait de pouvoir s’en souvenir. Sans compter que, selon elle, la déclaration exacte qu’elle fit, en la matière, aux gendarmes, quatre semaines après le drame, et qu’elle maintiendra, lors de son unique interview publiée, en 1997, est censée avoir été la suivante : « Je n’ai rien vu, j’étais sur la rive opposée et je n’ai même pas entendu LA détonation » (c’est nous qui mettons en majuscules). L’usage du singulier « la détonation » pourrait avoir été une façon de ne pas mentir, en restant dans les limites de la version officielle (selon laquelle M. Bérégovoy s’est tiré UNE balle dans la tête), alors même qu’elle aurait bien entendu LES détonations. D’ailleurs – et en cela tient sans doute l’essentiel de ce dont il convient de tenir compte – un journaliste auteur d’un ouvrage d’enquête sur l’affaire, paru en 2003, affirme qu’elle et le jogger « ont, l’un et l’autre, perçu distinctement deux détonations », affirmation qu’il ne renouvellera pas, dans ses ouvrages ultérieurs, mais qu’il semble, en revanche, avoir renouvelé en marge d’une interview dans la presse écrite régionale, en 2013 (au moins pour ce qui est de l’infirmière). Enfin, dans un article paru en 2021, un autre journaliste auteur lui aussi d’un ouvrage d’enquête sur l’affaire, paru en 2008, affirme avoir recueilli de l’enquêteur des RG l’information que deux riverains du chemin de halage « ont entendu les deux coups de feu », depuis leur jardin. En somme, ce sont, en tout, au moins sept personnes qui ont entendu deux détonations, si l’on ajoute à ces quatre-là les trois jeunes hommes dont nous relaterons le témoignage.

 

[9] Selon l'inspecteur des Renseignements Généraux missionné pour enquêter sur l'affaire, il s'agissait d'en échanger. L'hypothèse qu'il s'agissait, pour l'ancien premier ministre, d'en remettre est étayée par cinq cambriolages survenus, peu avant sa mort, et qui, selon ce même enquêteur, auraient visé à le terroriser pour le presser de remettre des documents qui, autrement, ne pouvaient que rester introuvables (du reste, l’hypothèse qu’ils auraient visé à mettre la main sur des documents compromettants pour leur propriétaire lui-même – voire lui seul – étant très peu probable, eu égard à la tournure générale des événements) : sa résidence normande, au cours de l’été 92, le domicile parisien de son attaché de presse, en janvier 93, le coffre-fort de l’assemblée nationale où il rangeait sa déclaration de patrimoine, en février 93, le domicile parisien d’une collaboratrice, en avril 93, et l’étude de son notaire nivernais, à la mi-avril 93 (cambriolages auxquels il convient, d’ailleurs, d’ajouter celui – bien qu’ayant eu lieu sept ans plus tard – des locaux de son photographe officiel, James Andanson ; certains ajoutant même qu’une « visite » de son domicile nivernais aurait été effectuée, dans la nuit suivant sa mort, nuit du 1er au 2 mai, alors que Mme Bérégovoy se trouvait à Paris, près de la dépouille de son mari – la nécessité que la veuve fût éloignée de son domicile ayant donc pu être l’une des raisons du transfert du corps à l’hôpital du Val-de-Grâce). Parmi les objets lui ayant appartenu et qui seront remis à sa femme – stylo, briquet, petit répertoire téléphonique, portefeuille et brin de muguet, ceux-ci retrouvés dans sa veste, à l’hôpital – se trouvait un porte-documents. Il pourrait s’agir de celui que la gendarmerie a trouvé sur les lieux mêmes du drame, avec un journal quotidien national et des prospectus de publicité, lors d’une saisie effectuée à 19 h 10, soit cinq minutes après l’arrivée du capitaine venu rejoindre ses hommes, et une demi-heure après l’évacuation du corps vers l’hôpital. Si le journal et les prospectus ont assurément été trouvés dans la voiture de fonction, un doute subsiste, pour ce qui est du porte-documents. Étiqueté « Collaborateurs Paris », il ne contenait que deux lettres d’invitation à deux banales réunions politiques parisiennes, qui lui étaient adressées (le type même de documents que placerait facilement au sommet d’une pile celui qui voudrait en cacher le contenu).

 

[10] Il peut s’agir de l’appel téléphonique qu’il effectue, vers 16 h 30, depuis la salle d’apparat du Palais ducal, dans laquelle il se rendait très rarement. À moins que sa méfiance n’ait été provoquée par un autre appel téléphonique, celui d’un ancien ministre de l’Intérieur, proche du Président de la République, appel reçu dans la matinée (alors qu’il se trouvait, soit encore à son domicile de la rue Saint-Martin, qu'il quitte vers 10 h 15, et où il repasse, vers 12 h 45, avant d’aller déjeuner chez sa sœur, dans les environs de Nevers, soit à son bureau de la mairie, qu'il occupe de 10 h 20 à 11 h) ; appel qui, au témoignage de ses proches, l’a laissé – pour reprendre la formule utilisée par le journaliste qui rapporte, en exclusivité, l'information, dans son ouvrage paru en 2003 – « très affecté » (parmi les proches en question se trouve probablement la conseillère municipale qui le rencontre, à la mairie, à 11 h, pour traiter du cas particulier d'un couple au chômage, et qui, à cette occasion, le trouve « désemparé », sans « son dynamisme habituel dans pareil cas »), et appel qui pourrait avoir consisté en une énième, si ce n’est ultime, mise en garde, mais sans que cela implique nécessairement que l’auteur de l’appel fût, de près ou de loin, de la partie du rendez-vous qui allait avoir lieu dans l’après-midi, ni même qu’il eût une quelconque connaissance de celui-ci, ni même encore que le contenu de l'appel eût un quelconque rapport avec lui. Du reste, durant le dernier mois, Pierre Bérégovoy avait eu d’autres conversations téléphoniques « très animées » et « tendues » qui l’avaient toujours laissé « soucieux et très inquiet », selon le témoignage d’un restaurateur dans l’établissement duquel il lui arrivait d’aller téléphoner, afin de déjouer d’éventuelles écoutes de ses lignes personnelles, cependant que cet établissement avait fini par être lui-même placé sous écoutes (témoignage rapporté par l’enquêteur des Renseignements Généraux déjà mentionné), et où, d’ailleurs, ce 1er mai, entre 16 h 30 et 17 h 15, il prit son habituel thé à la menthe, en compagnie d’une vieille connaissance sans doute nivernaise, qui se trouvait là, par hasard : « tout allait bien et il était de bonne humeur », confiera le patron de l’établissement à un journaliste dont l’enquête est parue en 2008. L’appel du matin aurait-il levé en lui des inhibitions ? L’aurait-il poussé à tenter le tout pour le tout, jusqu’à lui faire décider, plus ou moins au pied levé, du rendez-vous de l’après-midi ? Ou bien l’ombre jetée par l’appel téléphonique n’aurait-elle été que passagère, sans véritable incidence sur le cours de l’existence de son destinataire, lequel aurait pu l’oublier ou la relativiser assez vite, pour renouer avec son entrain des heures et jours précédents ? L’appel ayant probablement été reçu avant 11 h, la première hypothèse permettrait mieux d’expliquer l’entrain, la jovialité et la célérité, que les journaux locaux, dans leurs éditions du 3 mai, s’accordent à relever comme ayant été sa façon de procéder à la cérémonie de réception des représentants syndicaux, pour la fête du 1er Mai, au Palais ducal, entre 11 h 30 et 12 h 15 ; représentants à l’adresse desquels il prononça, à cette occasion, un discours inhabituellement « rapide et court ». Si l’on en croit deux adjoints municipaux qu’il avait invités, la veille, à prendre un verre dans une auberge des bords de Loire, il s’était déjà montré, à cette occasion, enjoué et bien décidé à monter des projets, en politique locale et nationale ; impression qui sera aussi celle de l’amie intime du couple Bérégovoy (dont il a déjà été question, à propos de la chemise du défunt), au moment de recevoir celui-ci et leur fille à dîner, le même jour, dans une autre auberge. Le coup de téléphone du lendemain matin aurait donc assombri cette disposition, sans que l’on puisse être certain qu’il aurait eu un quelconque lien avec ce qui aurait été la motivation de son destinataire à revenir sur le devant de la scène politique et la manière d’y revenir. Bien décidé à ne pas perdre l’entrain qu’il aurait manifesté depuis son retour, l’avant-veille, à Nevers, il pourrait s’être lancé un défi (qui pourrait même avoir consisté en une contre-attaque, dans l’hypothèse où le coup de téléphone aurait eu trait à ses entreprises politiques), un défi ayant pu avoir un effet compensatoire, euphorisant, et qui, d’ailleurs, ne remettrait pas nécessairement en cause, d’une part, l’existence d’un intermédiaire, un homme de confiance, mobilisable sur-le-champ et chargé d’authentifier et de faire agir le fournisseur ou le destinataire des documents (selon qu’il s’agissait d’en acquérir ou d’en remettre) – intermédiaire qui aurait pu avoir été recruté, voire pressenti pouvoir être recruté sur-le-champ, depuis déjà longtemps – ni, d’autre part, la nécessité d’être armé.

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Articles récents