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Réinvestigation

Sur la base de sources publiques, retour sur des affaires restées énigmatiques.


L'ASSASSINAT DE FRANÇOIS DARLAN (XXIV)

Publié le 2 Octobre 2024, 14:21pm

 

Le 24 décembre, vers 16 h, un homme fait son apparition dans l’enceinte du haut-commissariat, où Tarbé de Saint-Hardouin s’étonne de le trouver, puisqu’il n’a pas l’habitude d’y être. Par la suite, le général Bergeret y verra une raison de le suspecter d’avoir été préalablement informé de l’attentat (cf. Chamine, ibid., p. 438, R. Richard et A. de Sérigny, L’énigme d’Alger, p. 185). Il s’agit d’Alfred Pose, le ministre de l’Économie, dont les bureaux se trouvent au palais Bruce (voisin du palais d’hiver), à trois kilomètres et demi du palais d’été. Pose croise le journaliste Paul-Louis Bret, qui était venu rencontrer son collègue et homologue Pierre Bourdan, directeur de l’Agence française d’information et chroniqueur francophone à la BBC (comme nous l’avons vu, arrivé de Londres, le 12, Bourdan avait rendez-vous avec Darlan, à 15 heures), Bret auquel d’Astier et Rigault (qui viennent de rappliquer promptement de leur après-midi férié ou semi-férié) viennent d’annoncer la nouvelle de l’assassinat, et qui, à son tour, en informe (ou est censé en informer) Pose ; lequel, en réponse, l’interroge laconiquement : « Vous en êtes sûr ? », avant d’aller le vérifier, en pointant son nez dans le bureau du haut-commissaire, là où gît encore, au sol, le chef d’état-major blessé (Ayant demandé que les soins soient prioritairement accordés à l’amiral, le capitaine Hourcade sera finalement resté au sol, pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que le commandant Dupin de Saint Cyr, après lui avoir appris la mort de son supérieur, le fasse transporter à l’hôpital Maillot, au moyen d’une ambulance – américaine, selon Louis Hourcade, anglaise, selon Chantérac : peut-être une anglaise portant le drapeau étasunien). Si l’on en croit Jacquet, Pose venait d’être appelé au haut-commissariat par le général Bergeret, dont on a vu qu’il y avait filé, depuis son domicile, en laissant derrière lui Bourdan, avec qui il déjeunait : « Effondrement de Pose qui, une demi-heure après le crime, appelé par le général Bergeret au palais d’Été, fuit les responsabilités et, prétextant qu’il n’a pas été reçu à l’heure fixée pour cet entretien avec le général Bergeret, rentre sous sa tente et passe toute la fin de la soirée au palais Bruce. » (note recueillie par Théry et citée par Chantérac, L’assassinat de Darlan, p. 241). A priori, le mot « effondrement » peut paraître excessif, à moins que Pose n’interprète l’impossibilité momentanée de rencontrer Bergeret comme un indice d’éventement du complot, outre qu’il la vit peut-être comme l’impossibilité d’influer sur la suite des événements. D’un autre côté, la cause de cet effondrement peut se trouver ailleurs : n’ayant pas été au courant du projet criminel, il vient de comprendre ou d’entrevoir que l’assassinat du haut-commissaire signe la fin des ambitions du prince, conformément au pronostic qu’il n’avait pas été sans partager, selon lequel le comte ne pouvait que sortir déconsidéré d’un assassinat politique (ce qui, là encore, remarquons-le, peut impliquer une impossibilité d’influer sur la suite des événements). Pose ne verra le haut-commissaire-adjoint, qu’au moment de dîner avec lui. Le lendemain, il le retrouvera, avec le comte, d’abord, en début de matinée, puis, l’invitation en ayant été faite à cette dernière occasion, pour déjeuner. Entre leurs deux visites, se sera intercalée une visite de Rigault. À tous le général déclare qu’il est favorable à la venue du prince au pouvoir, tout en se montrant dubitatif sur le soutien des Américains (doute que, comme à son habitude, s’est employé à renforcer Rigault). À l’issue du déjeuner, Bergeret confirme donc son soutien au comte, puis, toujours à son domicile, il rencontre le juge Rondreux accompagné de Rigault, le premier venant rendre compte de la conclusion de son enquête. Une fois le juge parti, Rigault se dit insatisfait des propos tenus par le magistrat, selon qui le meurtre est l’acte d’un isolé exalté, et incite le général à demander un report du procès et un complément d’enquête. Le haut-commissaire-adjoint accède à la demande de Rigault, en se déclarant lui-même favorable à un complément d’enquête (sans doute, chez lui – à la différence de chez Rigault, que n’indisposerait sans doute pas que tous fussent incriminés – plus dans le but de remonter jusqu’à des responsabilités gaullistes que dans le but d’étayer une incrimination de monarchistes que les procès-verbaux d’audition de l’inculpé avaient fini par édulcorer jusqu’à pointer vers l’acte d’un isolé, néanmoins appuyé par un abbé, associé d'Henri d'Astier). Sur ce, juste arrivé de Tunisie, Giraud demande au haut-commissaire-adjoint de se dédire, à une heure de l’ouverture du procès, ce que celui-ci accepte de faire, non sans avoir, au passage, retardé de trois heures l’ouverture du procès, qui avait été prévue pour 15 heures (et alors que, on s’en souvient, de son côté, Giraud ne s’en livre pas moins, parallèlement, en privé, en présence de Van Hecke, à une violente offensive verbale contre les gaullistes et contre De Gaulle, qu’il accuse de vouloir tuer tout le monde) (cf. Chantérac, p. 239, Geoffroy d’Astier, p. 194-196). Paradoxalement, en cédant ainsi à Giraud, Bergeret ne dédaigne pas les arguments de Rigault (les trois hommes se réclamant, d’ailleurs, du monarchisme) : il a bien compris que les Américains ne veulent pas du comte, mais, comme deux mois auparavant, veulent de Giraud ; par ailleurs, n’ayant pu encore démêler tous les fils du complot, il ne peut que soupçonner un futur gouvernement du comte d’être le cheval de Troie ou une avant-garde des gaullistes. Giraud sera ainsi élu, le lendemain, à l’unanimité, par le Conseil d’Empire, à sa tête et celle du haut-commissariat. Il reste que le témoignage de Jacquet (dans une note écrite à la demande de l’agent gaulliste du MI 6 Théry et recueillie par lui) peut paraître douteux. Comment, de leur côté, Richard et de Sérigny pourraient-il rapporter que Bergeret avait trouvé suspecte la présence inhabituelle de Pose au haut-commissariat, s’il avait été lui-même à son origine, pour avoir émis sa convocation ? Et Jacquet ne cherche-t-il pas à couvrir habilement son patron Pose, en le présentant comme dépité, décontenancé, par l’assassinat ? Le lendemain matin, Beau de Loménie trouve ce dernier « rayonnant », qui lui annonce qu’il va déjeuner chez Bergeret et que « le Prince sera ce soir au pouvoir » (Ordioni, Le secret de Darlan, p. XXVIII) ; état rayonnant contre lequel, dans un article publié en février 1980, en réponse au témoignage transmis par Ordioni, s’inscrit en faux l’aide de camp du comte, Pierre de Bérard, pour qui Pose, « sous l’effet du drame qui venait de se produire et devant l’incertitude du résultat d’une action totalement improvisée », venait de passer, en sa compagnie et celle du comte, « une nuit quasiment blanche (…) nuit au cours de laquelle fut décidé de présenter la candidature du comte de Paris ». Mais nous avons vu que plusieurs témoignages de Bérard restent sujets à caution, comme n'est pas pour l’infirmer, dans le cas présent, un autre témoignage de Beau de Loménie, déjà cité, selon lequel Jacquet avait annoncé, dans les locaux de la BNCIA d’Alger, l’assassinat imminent de l’amiral par des royalistes (parmi lesquels il se comptait), deux jours avant qu’il eût lieu. Que l’annonce – qui était certainement parvenue aux oreilles du patron – ait pu être ou non mise par ce dernier sur le compte du caractère expansif de son adjoint, elle n’en pouvait pas moins forcément atténuer, pour ne pas dire désamorcer, un effet de surprise ou de prise au dépourvu pour les jours suivants.

Dans la nuit du 25 au 26, Alfred Pose appellera au téléphone le commandant Guy de Beaufort, adjoint de Bergeret, pour lui déclarer : « Je vous parle d’une chose très grave, il parait que l’on va exécuter très rapidement aujourd’hui même, l’assassin de l’Amiral (…) C’est très grave. Il faut obtenir un sursis à tout prix (…) J’étais en contact ce soir avec certains milieux qui sont décidés au pire si l’exécution a lieu. Il faut l’expliquer au général Bergeret. Il ne faut pas que l’exécution ait lieu ce matin (…) Ce serait une erreur politique formidable de procéder à cette exécution. Les milieux dont je vous parle sont décidés à rendre la vie impossible au gouvernement qui succéderait à Darlan. Ils rendront la vie impossible à Giraud. Il faut faire un geste politique, sans cela un gouvernement Giraud aura la vie impossible et il se passera des choses terribles. » (compte-rendu d’écoute téléphonique cité par G. d’Astier, ibid., p. 205) Au moment où il fait cette déclaration, Pose, qui n’est pas au courant des aveux complets de Bonnier, cherche sans doute, outre à sauver la vie de ce dernier, à empêcher qu’il ne passe pour avoir fait in extremis des aveux complets. Il peut chercher à faire que le procès ne se termine pas prématurément sur l’exécution d’un soi-disant royaliste, à partir duquel il ne serait plus possible de remonter, en l’interrogeant, à des commanditaires autres que royalistes. Pour autant, dans son esprit, ceux qui menacent gravement le gouvernement imminent de Giraud sont-ils les royalistes, qui se réorganisent, autour de d’Astier, ou les gaullistes, qui se mobilisent autour de Capitant (qui réunira, sur la place publique, ses partisans, dès le matin du 26) et que cherche à débaucher d’Astier, en leur promettant l’efficacité dans la réalisation de leur propre objectif – complot somme toute soupçonnable d’être entièrement ou principalement gaulliste, comme le croit fermement Giraud ? Lorsque, le 14 janvier, devant le juge Voituriez, il aura à s’expliquer sur le contenu de cet appel téléphonique, sa nature d’agent polyvalent et, du même coup, son ambivalence pouvant mal cacher de la duplicité, affleureront : « J’avais dans la pensée un péril extérieur, et très exactement le péril gaulliste. En effet, j’étais à ce moment-là en rapport avec une personne qui m’avait fait une excellente impression, qui, se trouvant à Londres depuis plus de deux ans, était à Alger, en mission d’information. Il s’agit de Pierre Maillot, alias Pierre Bourdan. Il m’est apparu comme étant un des rares membres du parti gaulliste que je connaissais qui ait l’exacte intelligence et des besoins et aspirations de l’Afrique, et du mouvement africain et qui ne rejette pas systématiquement ce qui a été fait en France depuis 1940 (…) il s’est entretenu avec moi, dans la soirée du 25, de l’exécution du meurtrier, me pressant d’intervenir pour qu’il soit sursis à l’exécution, cette exécution, dans son esprit, devant être un obstacle très sérieux à la réconciliation des Français combattant pour la victoire finale. Il estimait qu’il y avait lieu de faire la lumière complète, ce qui était impossible, en si peu de temps. Je le suivais d’autant plus que c’était mon exacte pensée. » (ibid., p. 312-313) L’exacte pensée de Pose aurait donc été de faire la lumière sur l’assassinat, quitte à découvrir l’existence de commanditaires dont l’identité aurait à être, elle aussi, élucidée ; exacte pensée en parfaite harmonie avec celle de gaullistes présentés, du même coup, abusivement, voire hypocritement – Bourdan se revendiquant indépendant du cercle gaulliste – comme craignant que la non-résolution de l’affaire en vienne à empêcher la réconciliation nationale, en permettant toutes sortes de suspicion… S’il pouvait être assurément d’un intérêt commun aux royalistes et aux gaullistes que Giraud n’use pas d’une affaire mal réglée et restée pendante, pour traquer et intimider qui bon lui semble, et pour ainsi mieux asseoir son pouvoir, il reste qu’un journaliste (ou toute autre personne) qui aurait croisé Pose quittant les locaux du tribunal militaire d’Alger, aurait pu, en lui retournant la formule par laquelle il avait répondu à l’annonce de l’assassinat, l’interroger sur sa déclaration au juge : « Vous en êtes sûr ? »

Pour appuyer sa question, il aurait pu lui faire observer que son adhésion au monarchisme, au second semestre 1940, avait été contemporaine de la mission que le sous-secrétaire d’Etat au Foreign Office Alexander Cadogan avait confiée à Maxime de Roquemaure et qui consistait à convaincre le comte de Paris d’entamer, en Afrique du Nord, un processus de restauration de la royauté en France... et ce dans le principal but que soit enfin faite une place à Charles De Gaulle, qui prendrait la direction du gouvernement présidé par le prince ou prendrait le relais de ce dernier, en cas d’échec… recours au comte de Paris qui est donc déjà un vieux projet, en décembre 1942, mais toujours d’actualité, et, cette fois, potentiellement soutenu par Roosevelt, lequel, bien sûr, en exclurait De Gaulle, raison pour laquelle, désormais, la position britannique est le rejet catégorique de l’option du recours au prince, comme le général Mast en reçoit l’annonce, à la mi-décembre, en réponse à une demande qu’Henri d’Astier lui avait demandé de faire auprès des exécutifs étasunien et britannique (encore que l’on puisse soupçonner que les Britanniques prenaient ainsi le devant, en se dédouanant d’une quelconque participation au complot devant amener au pouvoir le comte, lequel n’en aurait pas moins fait la place ou ouvert la voie à De Gaulle)… Roosevelt, de son côté, se déclarant dépendant de la position du Sénat, qui est a priori défavorable… Entre le 10 décembre, date de l’arrivée du comte à Alger, et le 13, date de la demande faite à Mast par Henri d’Astier, ce dernier avait déjà rencontré Murphy pour lui proposer le remplacement de Darlan par le comte, après que le premier aurait été obligé à démissionner, et le consul s’y était montré favorable, en allant jusqu’à déclarer : « Alors, vous voulez rétablir un roi en France ? Moi je n’y vois pas d’inconvénient... », alors que, pour d’Astier, le projet n’était que de promouvoir « une personnalité indiscutée qui n’a jamais été mêlée à la politique partisane et qui serait donc susceptible de rassembler les fervents de De Gaulle, ceux de Pétain, et coifferait l’Afrique du Nord elle-même, cela provisoirement », comme il le précise aussitôt au consul, selon les termes rapportés au juge Voituriez, le 13 janvier, par le commissaire Achiary, qui avait été mis dans la confidence de l’entretien par le consul. Si l’on en croit toujours Achiary, Murphy, « aussitôt après la mort de l’Amiral », lui a aussi confié, à propos de cet entretien : « Lorsque j’ai vu Henri j’ai émis une opinion personnelle car je n’avais nullement alerté Washington à ce sujet, qui ne me semblait pas sérieux. Et il me semble bien, à la lueur des événements, que d’Astier a pris mon opinion pour celle du Président des U.S.A. » Or, comme nous l’avons vu, Roosevelt n’a pas tardé à être mis au courant de la demande d’Henri d’Astier, par l’intermédiaire du général Mast, sans, pour autant, ensuite désapprouver complètement la réponse qu’avait faite, à brûle-pourpoint, son représentant. Ce qu’a ensuite ajouté le consul, au cours de ses confidences au commissaire, persiste dans l’incomplétude, une incomplétude qui induit en erreur : « Deux jours avant la disparition de l’Amiral, mes services de renseignements m’ont fait savoir que le Comte de Paris était à Alger et briguait la succession, en prétendant avoir mon appui. J’ai alerté la Maison Blanche et j’ai reçu du Président Roosevelt lui-même, l’instruction impérative de m’opposer au nom des Etats-Unis, à l’arrivée au pouvoir en France du prétendant au trône. » (cf. Voituriez, ch. XVII) Si l’on ne perd pas de vue que ce sont là les propos du consul tels que rapportés par le gaulliste Achiary (alors que, de son côté, dans ses mémoires, le consul reste totalement silencieux sur ses tractations ou simples contacts avec les monarchistes, les gaullistes et les gaullo-monarchistes, durant cette période), on en conclut – sans avoir besoin de douter que Murphy ait été tardivement informé de la présence du comte, comme cela a bien pu être le cas – qu’ils cherchent à faire paraître le projet royaliste comme ayant toujours été isolé du pouvoir étasunien ; isolement qu’aurait encore accentué, toujours selon le témoignage du commissaire, le rejet du recours à la loi Tréveneuc par le président du conseil général d’Alger (rejet dont nous avons pourtant vu qu’il n’a jamais pu être clairement établi). En ce 13 janvier, devant le juge Voituriez, Achiary (qui bénéficie, depuis sa première audition du 9 janvier, de la promesse de n’être pas poursuivi, pour ses déclarations au juge) s’ingénie manifestement à dégager les Etasuniens de toute implication, même lointaine, dans le projet d’Henri d’Astier et de Pose, sans doute afin de favoriser ou de rendre possible un éventuel accommodement de Roosevelt avec De Gaulle. En dénonçant un complot criminel exclusivement royaliste, dans lequel les Américains n’ont aucunement été impliqués, et en le dénonçant sans nuance (puisqu’il va jusqu’à soupçonner Pose d’en avoir été le « cerveau »), Achiary dédouane, outre les gaullistes, ceux dont il a pris acte de la domination sur le terrain, et dont il tente, du même coup, de détourner ou de désamorcer les foudres visant les premiers. Pour bien en prendre la mesure, il convient de remonter quelques jours avant la date du témoignage du consul au commissaire. Dans les jours suivant les réponses britanniques et étasuniennes obtenues par Mast, arrivent de Londres François d’Astier et Scamaroni. Ce dernier apporte des consignes de De Gaulle à Capitant, parmi lesquelles, probablement, celle consistant à dissuader Roosevelt de soutenir le comte, consigne que met, sans tarder, en application le chef de Combat, en menaçant Eisenhower de soulèvements à Constantine et à Oran. Le récit d’Anne Laurens, qui, comme nous l’avons vu, rapporte cet épisode, sans le dater autrement qu’en décembre, recoupe le témoignage du journaliste Albert-Paul Lentin, selon lequel, « une semaine environ avant la Noël », Capitant a eu une entrevue personnelle avec Eisenhower, qui, à cette occasion, lui annonce qu’il a pris la décision de nommer le comte de Paris « Haut-commissaire en Afrique », entraînant, sur-le-champ, la colère du chef de Combat-Afrique qui lui annonce « des ripostes républicaines dans toute l’Algérie », avant de quitter le général, avec « la quasi-certitude que celui-ci avait renoncé à la nomination » (témoignage rapporté par Alain Guérin, Chronique de la Résistance, p. 1052). « Une semaine environ avant la Noël » nous conduit à la date d’arrivée de l’équipe de François d’Astier, et notamment à ce qui semble avoir été sa première rencontre avec Capitant, en compagnie d’Henri d’Astier, à l’hôtel Aletti, en début de matinée du 20 (cf. G. d’Astier, p. 146 – qui ne mentionne que la présence du général d’Astier et de Pompéi, cependant que Scamaroni n’était sans doute pas loin). Au demeurant, que Capitant ait lancé ses menaces au commandant en chef américain, avant ou après l’arrivée de Scamaroni, ce dernier ne pouvait que l’encourager dans sa démarche, tant la perspective d’un comte instauré à la tête d’un gouvernement transitoire avec le soutien et le conseil antigaulliste des Américains présentait le risque non négligeable de prendre racine et de se prolonger, au-delà d’une élection nationale. Cette pression exercée sur le commandement américain peut expliquer, en grande partie, l’opposition soudainement résolue, après avoir été vague et hésitante, du président Roosevelt au projet dit monarchiste. Simultanément à cette pression, le général d’Astier n’en pousse pas moins au crime les royalistes censés être représentés en la personne de son frère Henri, en les incitant à tuer Darlan. Lorsque l’amiral tombera, il n’y aura comme suspect que le comte, qui, forcément, en pâtira et échouera dans son projet d’accéder au pouvoir, et qui échouera d’autant plus que Roosevelt aura été conditionné à ne pas prendre parti pour les royalistes. François d’Astier n’aura évidemment pas présenté à son frère le projet comme celui d’un échec annoncé pour le prince. Pour autant, peut-être Henri d’Astier a-t-il flairé la manipulation et peut-être, en même temps, a-t-il décidé de jouer sur les deux tableaux, dans la perspective que la trame de l’un des tableaux l’emporte sur l’autre : si le comte peut réussir contre vents et marées, tant mieux. S’il échoue, le personnel gaulliste qu’il entendait mettre en place pourra toujours intervenir et aura même d’autant plus latitude pour le faire (À ce titre, il n’y a pas lieu de s’étonner que, au lendemain de l’assassinat, deux gaullistes comme Marc Jacquet et Charles Luizet se montrent ardents partisans de l’élection du comte. Plusieurs fers au feu ne sont pas de trop pour les gaullistes, étant donné les circonstances, d’autant plus qu’un sérieux candidat – pour ne pas dire le favori – est Giraud, le candidat des Américains. Du reste, inciter les royalistes à passer à l’action, tout en incitant Roosevelt à ne pas les soutenir, offrait, tout au plus, pour la direction gaulliste, le risque de l’avènement d’un pouvoir du comte ne disposant d’aucun appui, et donc précaire – cf. Tout commence à Alger, p. 482, Chamine, p. 469 et 567). Qui plus est, il reste à savoir quelle était la vraie priorité ou le vrai objectif – ce qui revient au même – d’Henri d’Astier : servir le comte ou servir De Gaulle ? Pour en revenir à l’homme ordinairement présenté comme le concepteur du projet de remplacement de Darlan par le comte (et qu’Achiary va jusqu’à présenter sournoisement comme le concepteur de l’assassinat), il n’y a pas de raison de mettre en doute la sincérité et le bienfondé de l’observation de Pierre Boutang : « Quand on a connu ce cher Alfred Pose, l’idée qu’il ait pu avoir un instant l’intention de faire tuer quelqu’un est intenable. » (Royaliste, n° 310) Les différents projets qui lui ont été soumis, à lui et au prince, de début 1941 à novembre 1942, n’ont certainement jamais inclus (du moins, explicitement) l’assassinat de quiconque, et celui dont il est le concepteur, à cette dernière date, et qui prévoyait le recours aux conseils généraux, non plus. Le projet d’assassinat est né dans la mouvance de De Gaulle et d’Eden, à la suite de l’installation et du maintien de Darlan par l’exécutif étasunien. Marc Jacquet, qui semble avoir été adjoint à Pose, à la BNCIA, sur la recommandation de Capitant, aura été l’un des principaux agents jusqu’au-boutistes du projet anglo-gaulliste. Ne voulant pas d’une installation durable du comte au pouvoir (d’autant plus au cas où il s’avèrerait impossible de tenir ce pouvoir, de l’intérieur, en y participant), qui aurait immanquablement impliqué un soutien étasunien et la possible restauration de la monarchie, les gaullistes – et pas seulement leur composante républicaine sectaire dont Capitant était le représentant en Afrique – misaient probablement sur la déstabilisation, le grand désordre, pour ne pas dire le chaos, qui, à leurs yeux, devait résulter de l’assassinat du haut-commissaire, chaos dont, deux jours après la relève légale du pouvoir au haut-commissariat, le processus a vraisemblablement été tenté d’être relancé par le coup de main contre Murphy et Giraud, l’avant-veille du départ de Scamaroni pour l’Afrique du Nord (comme s’il venait de transmettre les ultimes consignes)… chaos qui, toujours aux yeux de ses fauteurs, allait forcément conduire Roosevelt à se résigner à faire appel au chef du CNF… C’était sans compter sur la détermination et la réactivité du président étasunien, qui, sur-le-champ, fait revenir Giraud du front tunisien : « C’était le soldat qui rentrait, du front, pour mettre de l’ordre dans la maison, raconte le comte de Paris. À partir de ce moment-là tout s’est précipité. Les autorités militaires américaines, avec, à leur tête, le général Clark, s’employèrent à lui ouvrir les routes du pouvoir politique. Giraud voulait l’application immédiate de sanctions. » (Mémoires, p. 207)

 

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