Questions : Mario Faivre ment-il, en affirmant que, au moment du déjeuner, le 24, Cordier fut averti par Bonnier qu’il souhaitait essayer l’arme dont il disposait depuis le matin, demande à laquelle l’abbé parut acquiescer, alors que – dans l’hypothèse d’une défectuosité prévue, plutôt que de la seule taille excessive de l’arme – elle ne pouvait que remettre en cause le sabotage du complot ? Ou bien Rosfelder ment-il, en affirmant que deux revolvers défectueux avaient été remis par Cordier, afin d’accréditer l’idée d’un Cordier opposé aux gaullistes et donc à leur complot (complot gaulliste dont Rosfelder se revendique expressément, tout en reconnaissant qu’il s’agissait accessoirement d’un complot monarchiste) ? Comment Cordier aurait-il pu être assez naïf pour croire que Bonnier n’allait pas ou ne risquait pas d’essayer les armes ? D’un autre côté, si l’on écarte le témoignage de Rosfelder, il est à remarquer que Cordier n’aurait remis l’arme à Bonnier qu’en seconde partie de la matinée, soit juste avant que celui-ci ne se rende au haut-commissariat, ce qui réduisait considérablement le risque qu’il l’essaye, avant de passer à l’action (d’autant plus que son chauffeur du matin était l’inspecteur Marcel Schmitt, un proche de l’abbé, qui pouvait donc le dissuader de procéder à cette vérification.) Ces considérations viennent appuyer notre hypothèse selon laquelle Cordier ou l’un de ses défenseurs serait l’auteur du témoignage anonyme paru dans Le Figaro du 23-24 décembre 1945, qui, parlant de Bonnier présent aux abords du restaurant Le Paris, où sont en train de déjeuner l’abbé, Henri et Jean-Bernard d’Astier et une autre personne dont il est laissé entendre qu’il pourrait s’agir de Mario Faivre (quatre personnes dont on sait qu’elles déjeunaient effectivement au Paris, le 24), affirme : « L’abbé demanda à mon ami d’essayer l’arme de Bonnier qui, disait-il, s’enrayait facilement. » L’auteur d’une telle affirmation ne pourrait mieux dire pour se défaire – indirectement, puisqu’en s’exprimant, à la troisième personne – de l’accusation qu’il avait sciemment remis une telle arme, que, normalement, en effet, il n’eût pu qu’avoir vérifiée, avant de la remettre. Deux jours plus tard, Le Figaro publie une réponse venant explicitement de l’abbé Cordier : « Je ne suis en rien l’initiateur de cet acte [l’assassinat de l’amiral]. Je donne en particulier le démenti le plus formel aux allégations de votre informateur relatives à la part que j’aurais prise à la préparation de l’attentat et notamment au choix de l’arme. » Eu égard au témoignage paru deux jours plus tôt, l’expression « choix de l’arme » ne peut que renvoyer à la seule demande d’essai de l’arme. Le témoignage du 23-24 décembre dégage implicitement l’abbé de l’accusation d’avoir remis une arme à Bonnier et d’avoir préparé l’assassinat (mais sans le rendre impossible, omission pure et simple étant faite de ce qui a eu lieu dans la matinée), et la réponse du 27 le dégage explicitement de l’accusation d’avoir envoyé Bonnier à l’échec, tout en confirmant et renforçant la disculpation implicite de l’avant-avant-veille, une arme n’ayant pu, en effet, être remise qui aurait été défectueuse. L’abbé se défendrait donc sur deux fronts : d’un côté, il se protégerait de ceux qui lui reprocheraient d’avoir mis en œuvre l’assassinat, de l’autre, il se protégerait de ceux qui lui reprocheraient de l’avoir fait échouer. En définitive, le témoignage de Mario Faivre, selon lequel Bonnier serait entré dans la voiture, en début d’après-midi, avec un vieux revolver britannique .38, pourrait être exact : il s’agirait de l’un des revolvers que possédait Sabatier et que, s’il a dû passer entre ses mains, Cordier aurait pu s’être procuré, d’une manière ou d’une autre. Le plan de l’abbé pourrait avoir été le suivant : une fois l’attentat échoué, se présenter à l’amiral et aux Américains en leur annonçant que, grâce à lui, abbé Cordier, l’amiral est toujours en vie, et que les gaullistes sont révélés être impliqués (cf. les noms du registre, supra), gaullistes qu’il convient donc d’entraver plus que jamais, en les dénonçant comme putschistes. En contrepartie, demander la grâce de Bonnier, qui a été l’instrument indispensable et efficace de ce tirage au clair. À l’objection possible, selon laquelle on se demandera pourquoi n’avoir pas évité purement et simplement la mise en scène d’un assassinat saboté, en allant avertir directement les autorités des intentions gaullistes, répondre que cette mise en scène a servi à rendre évidentes, aux yeux du public, ces intentions, et à rendre d’autant plus légitime la réponse du gouvernement. Quant à la raison pour laquelle le dossier judiciaire mentionne un pistolet Boltun (calibre 9,2 mm) au lieu d’un revolver .38 (9,6 mm), elle pourrait être la suivante : le .38, qu’avait bien en main Bonnier pour sa première tentative, ne fonctionnait absolument pas, et, à la suite de la vérification effectuée par la voiturée de l’après-midi qui a conduit à son remplacement par le pistolet du fils d’Astier, il a fallu à Cordier se rattraper aux yeux des commanditaires (Henri d’Astier et les gaullistes), en dissimulant son stratagème qui avait fini par échouer, et donc en se mettant d’accord avec Mario Faivre, Jean-Bernard d’Astier et Roger Rosfelder – l’inspecteur Schmitt, quant à lui, comme nous l’avons dit, ayant pu être déjà dans le coup – pour que tous prétendent que l’arme qui avait été remise à Bonnier, le matin, était le Boltun qui figurait dans les affaires d’Henri d’Astier et qui ne tirait que deux coups sur trois, alors que l’on a lieu de penser qu’il s’était agi du « revolver 1892 » – peut-être un Colt M1892 de calibre .38 – que, lors de son audition du 20 janvier, Henri d’Astier déclare posséder, bien qu’il n’apparaisse pas dans l’inventaire des armes trouvées à son domicile, comme s’il avait fallu soustraire à l’enquête une arme qui n’aurait absolument pas fonctionné mais qui aurait été un élément déterminant pour la reconstitution des événements. Le fait que d'Astier parle spontanément de cette arme au juge tend à prouver qu'il ne connaît pas l'usage qui en aurait été fait, le 24 décembre, que sa disparition aurait eu lieu à son insu, et, enfin, que le tout serait dû à l'abbé, bien que, dans sa lettre à Raynaud de 1988, Faivre soutiendra que le revolver qu'avait essayé Bonnier fut remis par lui-même à l'abbé puis découvert dans les affaires de d'Astier, lors de la perquisition du 10 janvier (ce qu’il ne fait peut-être qu'inférer). Par la solution du Boltun était préservée, quoique dans une moindre mesure, la raison pour laquelle il avait fallu en changer, cependant que, bien plus tard, dans les années 1970 et 1980, Mario et Jean-Bernard auront finalement décidé d’adopter une solution médiane, afin de recoller partiellement à la réalité, en affirmant que Bonnier était monté dans la voiture avec un revolver – qui ne pouvait donc être le Boltun – quoiqu’un revolver fonctionnant deux fois sur trois. Il est probable que Cordier se soit justifié, auprès des trois comparses, en déclarant s’être trompé sur l’état du revolver de Sabatier, plutôt qu’en leur révélant son stratagème. Au demeurant, seuls Faivre et Rosfelder auront finalement été interrogés par le juge en personne, entre le 12 et le 18 janvier, le fils d’Astier en ayant été exempté, au motif qu’il était mineur et que son père était déjà sous les verrous, cependant que, hospitalisé pour accès de paludisme compliqué d’anémie, il recevra, le 13, soit le lendemain des premiers interrogatoires de ses deux camarades, la visite d’une délégation de la BST conduite par le commissaire ayant succédé à Achiary et auquel le juge venait de confier la tâche de procéder à un interrogatoire complémentaire des deux de la veille, interrogatoires que le sien confirmera, en tous points – preuve que les trois s’étaient concertés pour fournir une même version des faits, bien que Jean-Bernard avouera avoir été sauvé d’une question piège (qu’il ne précise pas) par l’un des policiers complice, un inspecteur (qu’il ne nomme pas, mais qui pourrait avoir été Marcel Schmitt) qui lui indiqua, d’un signe de tête, quelle réponse faire (Remarquons que la question pourrait avoir été la suivante : L’arme que Bonnier a remplacée par la tienne était-elle un pistolet ? Et Schmitt aurait hoché la tête de bas en haut.) À la différence de Jean-Bernard auquel il était impossible de le prétendre, Faivre et Rosfelder déclareront qu’ils ne connaissaient pas Bonnier, jusqu’au moment où eux et Jean-Bernard (qui le confirmera, de son côté) l’ont rencontré fortuitement dans la rue, en début d’après-midi du 24, et ont répondu à sa demande de le conduire, sur-le-champ, au Palais d’été (plus exactement à l’hôtel Saint George, situé à deux cents mètres et près duquel ils le déposèrent). Ni Mario ni Jean-Bernard ne diront l’avoir accompagné, le matin, pour une première tentative, et aucun des trois ne fera état de l’essai de l’arme qu’il portait, ni de son remplacement par celle de Jean-Bernard (sous réserve de la question mystère posée à ce dernier, telle que nous l’avons imaginée) (cf. G. d’Astier, p. 241-242 et 296-298, J.-B. d’Astier, p. 43-44, Vergez-Chaignon, p. 339, Voituriez, p. 224-225). S’il n’est donc pas exclu que l’abbé Cordier ait pu se rattraper aux yeux des commanditaires, d’un autre côté, il n’est pas non plus exclu que des gaullistes soient parvenus à influencer l’instruction judiciaire ou le déroulement de l’enquête, en y faisant substituer la mention d’un pistolet fonctionnant mal mais fonctionnant néanmoins à celle d’un revolver ne fonctionnant aucunement, afin que Cordier puisse être incriminé et l’aveu de son stratagème réfuté.
Pour en revenir au témoignage ultérieur de Rosfelder, le défaut des revolvers pourrait-il avoir tenu, plutôt que dans la défectuosité de leur mécanisme, dans leur taille, en vertu de laquelle ils n’avaient aucune chance de passer inaperçus dans le vêtement de Bonnier ? Défaut auquel Rosfelder aurait préféré substituer un autre plus probant, pour renforcer, rendre plus vraisemblable, la thèse de l’entrave de Cordier à l’action gaulliste, défaut qu’il précise, cependant, en 2000 : « Un des deux revolvers ne marchait pas et la plupart des munitions étaient hors d’usage » (Insoumission, II), une précision qui n’est pas sans recouper, d’une part, ce qu’a déclaré Bonnier au capitaine Gaulard, le soir du 25 : « Mon pistolet m’a été fourni ; on m’en avait d’abord fourni un, mais ou les cartouches étaient de mauvaise qualité, ou le pistolet ne valait rien, quand j’ai voulu l’essayer il n’a pas fonctionné. On m’en a donné un autre qui fonctionnait bien », et, d’autre part, ce qu’objecte le juge Voituriez, à l’abbé Cordier, le 25 janvier, à propos du revolver du capitaine Watson trouvé chez Henri d’Astier, lors de la perquisition, et qui aurait été la première arme fournie à Bonnier : « Ce révolver a une caractéristique, c’est que s’il fonctionne apparemment, en réalité sa percussion est mauvaise et seulement un tiers des balles est percuté. Or, si nous nous rapportons aux déclarations de Bonnier de la Chapelle, celui-ci dit que le révolver qui a servi à la tentative manquée du matin, avait soit des cartouches en mauvais état soit un mauvais fonctionnement ; une invraisemblable coïncidence fait trouver un révolver de ce type chez M. d’Astier, où vous habitez, et M. d’Astier ne le connaît pas ! » À l’appui de notre hypothèse énoncée précédemment, notons, d’une part, qu’il semble être question, chez Rosfelder aussi bien que chez Bonnier, d’une arme qui ne fonctionnait aucunement, et, d’autre part, qu’il y a une étrange coïncidence : le Boltun, un pistolet .36, que Geoffroy d’Astier, à la lecture des pièces judiciaires, et donc sans doute Voituriez lui-même – nonobstant qu’il lui arrive de le nommer revolver, comme nous venons de le voir, sans préciser ni son nom de fabrique ni son calibre – disent être entre les mains de Bonnier, au moment où il monte dans la voiture conduite par Mario Faivre, ne tire que deux coups sur trois, et le revolver .38 que Mario Faivre et sans doute Jean-Bernard d’Astier – nonobstant qu’il ne précise pas le calibre de ce qu’il nomme « gros revolver » – disent être entre les mains du même, au même moment, fait de même ! Il y a une base commune à ces deux versions incompatibles (sous réserve qu’il soit quasiment impossible de distinguer, à l’œil nu, sans y prêter une grande attention – qui, en l’occurrence, n’avait aucune raison d’être – un calibre 9,6 mm d’un calibre 9,2 mm) : une même nécessité de dire que l’arme dont disposait initialement Bonnier fonctionnait mais fonctionnait mal. Nous avons déjà dit que, longtemps après les faits, Mario et Jean-Bernard auraient tenu à parler d’un revolver, par souci de vérité. De son côté, comme nous le notions, le juge use du terme « revolver », alors que Bonnier, devant Gaulard tout comme devant Garidacci, semble avoir toujours usé du terme « pistolet », du moins, l’usage du premier terme ressort-il, d’une part, d’un procès-verbal d’interrogatoire de Gaulard remémoré, mais selon lequel aussi bien l’arme essayée que celle qui l’a remplacée étaient des revolvers (dernière occurrence assurément fausse) (alors que le procès-verbal d’information authentique, qui fait un compte-rendu abrégé de l’interrogatoire, parle de « l’essai du pistolet qui n’a pas fonctionné », sans mentionner son remplacement, et alors que, dans son rapport, le capitaine parle d’un pistolet essayé puis remplacé par « un autre » – cf. G. d’Astier, p. 310, Voituriez, p. 172-173 et 271), et, d’autre part, d’un procès-verbal d’interrogatoire de Cordier authentique (cf. G. d’Astier, p. 257), qui, afin de pouvoir mieux incriminer l’abbé, en le présentant comme quelqu’un qui ment, pourrait avoir substitué le terme « revolver » à celui qu’avait utilisé Bonnier, lors de ses interrogatoires… nonobstant que, tout en interrogeant l’abbé, Voituriez lui montrait ledit revolver… sous l’espèce, si l’on en croit G. d’Astier, d’un pistolet Boltun !... Qui du juge, pourtant militaire et tenu, par sa fonction judiciaire, à l’exactitude des termes, ou de Bonnier, pourtant habitué de l’instruction militaire, ou de Garidacci, pourtant officier de police judiciaire, ou encore de Gaulard, pourtant commandant d’escadron de gendarmerie, pourrait, habituellement ou occasionnellement, n’avoir pas fait un usage rigoureux des deux termes ? Si l’on suit Geoffroy d’Astier, d’une part, et, d’autre part, si l’on confronte le procès-verbal de Gaulard remémoré avec le rapport rédigé par ce dernier, il est évident qu’il est arrivé au premier de le faire, de même qu’à Gaulard. De plus, nous verrons qu’un fort soupçon demeure sur Garidacci, qui, en contrepartie, en exempterait Bonnier. Quoi qu’il en soit, terme de « pistolet » censé avoir été utilisé par Bonnier qui conforte sans doute Geoffroy d’Astier à parler d’un Boltun Patent automatic pistol qu’aurait remis l’abbé et qui fut trouvé, lors de la perquisition au 2 rue La Fayette, quoique, paradoxalement, Geoffroy, tout comme sa tante Louise d’Astier, dans le récit qu’elle fait de l’arrestation de son mari, désigne, par erreur, cette même arme comme un revolver ! Or, il est très important de remarquer que, de leur côté, aussi bien Mario Faivre que Jean-Bernard d’Astier et Roger Rosfelder font parfaitement la distinction entre revolver et pistolet, termes qu’ils n’utilisent jamais, à tort, l’un pour l’autre, et que les deux premiers décrivent Bonnier montant dans la voiture, en début d’après-midi, avec un revolver dans les mains, revolver qu’il a ensuite échangé avec le pistolet de Jean-Bernard. Que l’abbé lui aurait remis un pistolet, en milieu de matinée du 24, reste évidemment compatible avec le fait que, en début de matinée, Bonnier a déclaré à son ami Raynaud qu’il avait dérobé un revolver à Sabatier dont il comptait bien se servir pour commettre son acte. Déclaration matinale qui, elle-même, reste compatible avec le fait qu’il aurait reçu deux revolvers des mains de Cordier, la veille, comme le prétend Rosfelder, mais alors que, du coup, se pose la question de savoir comment, après avoir éventuellement jugé que ces deux revolvers étaient défectueux, il pourrait avoir pris un revolver à Sabatier, au camp d’Aïn Taya, où, selon le directeur du camp qu’était Sabatier lui-même, il s’était rendu, pour la dernière fois, le 22. Si Bonnier avait bien sur lui un revolver du camp d’Aïn Taya, le matin du 24, il faudrait en déduire soit qu’il l’avait dérobé avant le 22 – or Sabatier déclare ne s’être rendu compte de sa disparition que le matin du 25 – soit que ce revolver lui fut remis par Sabatier lui-même (qui, chaque matin, faisait l’aller-retour Aïn Taya-Alger, en voiture, pour approvisionner le camp en denrées) ou encore par l’abbé Cordier qui pourrait l’avoir pris au camp, à moins qu’il ne se le fût fait remettre par Sabatier, sous un prétexte quelconque. Remarquons, en outre, que Rosfelder pourrait avoir inventé l’histoire des deux revolvers de la veille pour justifier, après coup, que aussi bien le revolver totalement défectueux que celui partiellement défectueux qui devait le remplacer, avaient été remis par l’abbé Cordier.
Rappelons que le revolver 7,65 souvent présenté, y compris par nous-mêmes, comme appartenant à Sabatier appartenait, en fait, à l’un de ses subordonnés, l’aspirant Arguilhère, qui l’avait confié à son « capitaine » (surnom donné à Sabatier par les jeunes recrues du camp), et qu’il n’a été déclaré volé, par Sabatier, que le matin du 25. Si un revolver appartenant vraiment au sergent fut bien entre les mains de Bonnier, le matin du 24, pour procéder à sa première tentative, il pourrait donc s’être agi du vieux .38 que possédait assurément Sabatier. Un pistolet 7,65 appartenant à Jean-Bernard d’Astier ayant finalement été utilisé, dans l’après-midi, lors de l’assassinat, il est possible qu’on ait voulu détourner l’attention de la maison d’Astier et, surtout, la diriger vers le gaulliste Sabatier et son camp d’Aïn Taya, dont un revolver – bien que défectueux – devait, en effet, initialement servir à l’assassinat. L’indice majeur est la similitude des calibres du revolver d’Arguilhère et du pistolet de Jean-Bernard, qui permettait de rattacher à une arme du clan Sabatier les balles tirées, malgré la question des cartouches vides qu’un revolver ne pouvait avoir éjectées (Mais s’agissait-il vraiment d’un revolver ? Rappelons-nous : Raynaud ne peut-il pas paraître reprendre Bonnier, lorsqu’il commente sa confidence – qu’il lui a faite, en début de matinée, au moment où il lui rend visite – d’avoir volé le revolver, certes désigné comme celui de Sabatier et non de l’aspirant : « il ne disait pas pistolet » ?). Bien sûr, ce n’est que malgré lui que Sabatier a pu être partie prenante du stratagème : Bonnier ayant probablement parlé aux enquêteurs d’une arme de Sabatier – conformément à une instruction que lui avait laissée Cordier, selon Chamine (cf. p. 500) – comme il l'avait fait, le matin, à Raynaud, il a fallu au sergent inventer le vol d’une arme que lui avait confiée l’un de ses subordonnés et le déclarer au capitaine Castaing (arme soi-disant volée que Vergez-Chaignon nomme revolver, en se conformant peut-être à des pièces judiciaires, mais dont nous avons vu que celui qui en était le responsable usait d’un lexique approximatif, en la matière… tout comme l’historienne elle-même qui, ainsi que Chamine, et aussi le capitaine Hourcade dans son rapport à Alain Darlan, nomme revolver le pistolet avec lequel Bonnier a tué le haut-commissaire…) Remarquons que, si Bonnier a parlé aux enquêteurs et à Raynaud d’une arme de Sabatier, conformément à une instruction de Cordier, cette instruction et peut-être même la remise de l’arme ont dû précéder la visite de Raynaud, ce que vient encore étayer le fait que Sabatier n’a parlé de l’arme d’Arguilhère qu’après l’assassinat : cette dernière était probablement un pistolet afin de correspondre à l’arme qui avait été finalement utilisée, et l’abbé aura donc eu remis un revolver, sans doute la veille, ou, plus vraisemblablement, aura eu promis, la veille, d’en remettre un, peu avant l’action, puisque Bonnier ne devait pas avoir l'occasion de vérifier qu’il ne fonctionnait pas (À l’appui de cette dernière hypothèse, on remarquera que, si Bonnier montre à Raynaud, en début de matinée, sa fausse carte d’identité et son faux passeport au nom de Morand, ainsi que les 2 000 dollars – cf. Decaux, p. 106 – il ne lui montre pas « le révolver de Sabatier » qu’il lui déclare pourtant avoir « piqué », en pouvant ainsi signifier qu’il ne l’a pas encore, et alors qu’il est sans doute trop tard pour le dérober… cependant qu’il assure, dans le même temps, que « l’abbé a tout organisé », formule qu’il prononce juste avant de paraître faire un début d’énumération du « tout » en question, en tête de laquelle l’aveu d’avoir « piqué » le revolver du sergent, et avant de finir par avertir que rien ne peut être changé au plan que l’abbé a « minutieusement mis au point ».) En définitive, si une arme appartenant à Sabatier lui a bien été dérobée, il s’est sans doute agi d’un revolver .38 – cette fois, assurément un revolver – une arme défectueuse ou rendue défectueuse par l’auteur ou le commanditaire du vol. D’un autre côté, rien n’interdit de se fier au commentaire de Raynaud, dans le compte-rendu de sa visite à Bonnier : « Je compris qu’il n’avait pas eu besoin de ″piquer″ le révolver de Sabatier ». S’offre alors l’alternative suivante : outre qu’il est possible de comprendre que Bonnier laisse plus ou moins paraître qu’il n’a pas encore le revolver en sa possession, soit on l’a « piqué » pour lui, et le revolver a ensuite été remis à l’abbé, soit Sabatier l’a remis directement ou indirectement à l’abbé ; lequel, dans les deux cas, l’a ensuite neutralisé (à moins que, dans le premier cas, il n’eût déjà pas fonctionné) avant de le remettre à Bonnier (ce qu’il n’a probablement pas encore fait, au moment de la visite de Raynaud). Quant à la raison pour laquelle Sabatier a déclaré le vol d’un 7,65 (qu’il pourrait n’avoir ni plus ni moins que fait lui-même disparaître), alors qu’il s’agissait du type d’arme qui venait d’être utilisé pour l’assassinat, elle tient probablement dans le fait que Bonnier insistait à déclarer aux enquêteurs que l’arme qu’il avait utilisée appartenait au chef du camp d’Aïn Taya, forçant ainsi ce dernier à se positionner en conséquence, tout en pouvant, au passage, signifier implicitement qu’il avait remis lui-même le .38, initialement prévu, à l’abbé, sans quoi il aurait pu déclarer son vol, au lieu de celui imaginaire d’un 7,65, et pousser ainsi les enquêteurs à détecter le changement d’arme qui s’était opéré, en début d’après-midi. C’est donc sans doute à raison que Bonnier n’a pas parlé de pistolet à Raynaud, et lorsque ce dernier relève qu’ « il ne disait pas pistolet », il le fait probablement, soit en se référant à l’arme finalement utilisée, nonobstant que, en 1982 (date de son compte-rendu adressé à Faivre), il avait sans doute pris connaissance des récits de Faivre et de Jean-Bernard relatant le changement d’arme, soit parce qu’ayant été un habitué du Corps franc, il savait que l’arme principale, pour ne pas dire véritable, de Sabatier était un pistolet, et qu’étaient quasi insignifiants les vieux Colt .45 et Colt .38 que possédait aussi le sergent. Enfin, remarquons que si Bonnier avait réussi, le matin, non pas à tuer l’amiral, mais à s’enfuir, il était sans doute prévu qu’il laisse le revolver sur les lieux, à partir duquel il était possible de remonter jusqu’à Sabatier. Lorsqu’il aura réussi, l’après-midi, à tuer l’amiral, mais échoué à s’enfuir, il restera sur sa lancée de désigner l’arme utilisée – cette fois, un pistolet – comme appartenant à Sabatier. Aussi n’est-il pas impossible que le pistolet d’Arguilhère ait été réellement volé et qu’il l’ait été après l’assassinat, afin de rattraper le changement d’arme.
Dans l’hypothèse où, emporté par sa fougue et son obstination à remplir une mission qu’on avait pensée pour lui, Bonnier se serait acheminé à utiliser un revolver inapproprié (du fait de sa taille et/ou de son mécanisme) fourni par Cordier, il pourrait, néanmoins, avoir compris, à temps, (peut-être parce qu’on lui suggérait) que le revolver de Sabatier ferait mieux l’affaire, mais sans l’avoir essayé, en faisant confiance au mot du sergent : « Sois tranquille, celui-là marche. » En relatant ce propos tiré d’une déposition de Garidacci citant Bonnier, faite le 10 janvier, déposition qu’il se remémore, Voituriez commet-il, à la suite du commissaire et de Bonnier (et comme notre démonstration antérieure l’implique), l’erreur de l’attribuer à Sabatier – qui pour le prononcer pourrait s’être trouvé sur le parcours de la voiture et non dans la voiture, contrairement à ce qu’est aussi censée rapporter cette même déposition – plutôt qu’à Jean-Bernard d’Astier, voire à Mario Faivre ? Mais, dans ce cas, il faudrait en déduire que l’arme de Jean-Bernard n’a pas été essayée, puisque n’ayant pas dû être utilisée, au contraire de ce que rapportent les témoignages de Mario et de Jean-Bernard, cependant que Garidacci affirme aussi, dans cette même déposition, en étant toujours censé citer Bonnier, que l’arme a été testée, le matin, avant la première tentative, ce qui pourrait, à la rigueur, sous-entendre que deux essais d’armes eurent finalement lieu, l’une (revolver de gros calibre remis par l’abbé Cordier) le matin, l’autre (revolver de gros calibre remis par Sabatier) l’après-midi. Mais, puisque la déposition prétend aussi que Mario Faivre était le chauffeur du matin, et que l’inspecteur Schmitt n’était même pas dans la voiture, il est quasiment certain que Garidacci a cherché à couvrir ce dernier, pour le disculper d’une participation à l’assassinat. Puisque, par ailleurs, la déposition soutient que Bonnier se serait rendu compte, sur cette route du matin, que son revolver « marchait mal », avant que Sabatier ne lui prête le sien et ne lui dise son mot rassurant, il est probable que Garidacci aura aussi couvert Cordier, d’une manière voulue par celui-ci, en le présentant comme le fournisseur d’une arme qui fonctionnait mais fonctionnait mal, qui fonctionnait mal mais fonctionnait quand même. Couverture paradoxale, dans ce dernier cas, tellement le commissaire détestait l’abbé et Henri d’Astier, qu’il estimait usurper ses fonctions (détestation qu’illustre le fameux procès-verbal de Bonnier les dénonçant et incriminant principalement l’abbé, nonobstant qu’il l’aura prudemment dissimulé pendant deux semaines) : étant donné que, une fois arrêté, Bonnier semble avoir perdu tout contact avec ses commanditaires, il est improbable que l’abbé ait pu manipuler le commissaire, par son intermédiaire, en lui faisant témoigner d’un pistolet dont il avait d’abord pensé se servir, il l’aura donc fait autrement, en faisant circuler dans le milieu de l’enquête – Schmitt ayant pu être un très bon agent pour cela – l’information qu’un pistolet Boltun défectueux se trouvait au 2 rue La Fayette et qu’il ne pouvait qu’être l’arme qu’on avait d’abord remise à Bonnier, information dont se sera emparé le commissaire, en croyant pouvoir ainsi mettre en difficulté l’abbé et Henri d’Astier, sans comprendre que le premier ne pouvait souhaiter mieux… Précisons que, selon l’avertissement du juge, le fait que ces déclarations de Garidacci ne figureraient pas dans le procès-verbal original de l’interrogatoire du commissaire, n’y figurant même pas une rencontre matinale entre Bonnier et Sabatier, ne signifie pas nécessairement qu’il s’agirait de choses qui n’ont pas été rapportées devant le juge, lequel s’était, en effet, réservé d’omettre de consigner dans les procès-verbaux ce qu’il jugeait, selon ses propres mots, « inutile et dangereux »… l’inutilité et la dangerosité ayant pu être, en l’occurrence, celles de mensonges du commissaire, voire d’une complicité du commissaire avec les mensonges de Bonnier… Notons, au passage, que si Sabatier a bien remis, de la façon que raconte Garidacci, son revolver à Bonnier, cela prouverait la disposition de ce dernier à agir, en suivant aveuglément les consignes qu’on lui donnait – en l’occurrence, que lui donnait celui qui n'était autre que son chef, au camp d’Aïn Taya, nonobstant qu’il n’aurait guère fréquenté le camp, mis sur pied, rappelons-le, une semaine seulement avant l’assassinat. Néanmoins, dans le cas de figure le plus probable que nous avons exposé dans les paragraphes précédents, ce sont les consignes de l’abbé, pour lequel il éprouvait une grande admiration allant jusqu’à la fascination, qu’il aurait suivies.
D’un autre côté, quelqu’un pourrait-il avoir flairé le traquenard antigaulliste dans lequel Bonnier était tombé, et, en retour, l’avoir manœuvré pour qu’il incrimine le clan royaliste de la rue La Fayette, ou, comme le général Noguès dit l’avoir entendu de Bergeret, en séance du Conseil impérial, et en avoir reçu confirmation du colonel Horry, le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction, l’avoir manœuvré pour « qu’il déclare qu’il avait agi seul » (ce qui, au demeurant, rappelons-nous, entrait dans le projet de l’abbé Cordier). Devant le juge, le 9 janvier, contre la promesse qu’aucune charge ne pèsera contre lui, à la suite des déclarations qu’il va faire et qui vont constituer ni plus ni moins que le point de départ de l’enquête, Achiary déclare : « l’abbé Cordier constitue un cas pathologique (…) un cas psychologique très caractérisé. On peut dire de lui qu’il est un maniaque du crime », propos s’inscrivant dans une lignée de témoignages qu’a rapportée Chantérac et auxquels Faivre, qui connaissait l’abbé, n’est manifestement pas porté à accorder du crédit, et dont les auteurs ont tous des motifs d’être soupçonnés de partialité ou d’affabulation : 1) le capitaine Jobelot, gendre d’Henri d’Astier, qui pourrait avoir cherché à détourner de celui-ci vers l’abbé, outre la responsabilité de pratiques ésotériques divinatoires qui auraient eu lieu au domicile des d’Astier, des griefs du genre de ceux concernant l’assassinat d’espions prisonniers que relate le vice-consul étasunien d’Oran Ridgway Knight dans ses souvenirs restés inédits (griefs que n’est pas pour défaire de d’Astier son projet d’enlèvement de Rigault, qu’il soupçonnait d’être beaucoup mieux renseigné sur le projet monarchique qu’il ne le laissait paraître et de vouloir le faire échouer, au bénéfice de Darlan, l’enlèvement du secrétaire ayant été prévu pour le faire parler avant de l’exécuter – cf. Coutau-Bégarie et Huan, p. 697) ; 2) le capitaine Dorange, à propos duquel De Gaulle ne tarira pas d’éloges et d’attention, lors d’une conversation avec le général Juin, en novembre 1945, malgré ou au gré du fait que le capitaine le jugeait avoir été rendu odieux par Capitant (cf. Chantérac, p. 226) ; enfin, 3) le commissaire Loffredo, ni plus ni moins que le subordonné et le missionné d’Achiary… (cf. Chantérac, ch. 2, J.-B. d’Astier, p. 126) (Dans la mouvance de ces témoins pourrait figurer celui anonyme qui, dans Le Figaro du 23-24 décembre 1945, a présenté l’abbé comme l’unique instigateur et préparateur de l’assassinat, à condition d’en donner une interprétation différente de celle que nous avons privilégiée jusque-là, autrement dit à condition d’y voir l’œuvre malhabile d’un individu mal informé). Après avoir reçu le revolver de Sabatier, Bonnier pourrait avoir estimé qu’une autre arme, un pistolet, pouvait éventuellement encore mieux faire l’affaire, celui dont Jean-Bernard avait pu soudainement lui vanter les qualités, en tout cas, la vérification et la mise au point toute récentes, ce que seule une séance d’essai devait néanmoins permettre de s’assurer. Sur ce, informé, en milieu de journée, qu’il avait déjà délaissé celle qu’il lui avait proposée ou qu’il s’apprêtait à la délaisser (selon qu'elle était une autre que celle de Sabatier ou celle-là même de Sabatier), Cordier, pris dans une sorte de fatalité, aurait laissé faire… en se consolant peut-être, à l’idée que l’attentat pouvait encore échouer, malgré tout... L’hypothèse est compatible, en profondeur, avec le témoignage de Jacques Brunel devant Voituriez, le 12 janvier : « [le matin du lendemain de l’assassinat], je suis resté seul avec Cordier qui a commencé par me dire qu’il voudrait bien qu’Achiary se débrouille pour faire échapper le petit gosse. Je lui ai demandé s’il le connaissait, il me répondit que c’était Bonnier de la Chapelle. J’ai repris : ″Mais vous le connaissez ?″ Il m’a répondu : ″C’est un petit très bien, très courageux, il voulait tuer l’amiral, il fallait que celui-ci soit tué, maintenant il faut essayer de tirer le jeune homme de là.″ Étonné d’une pareille révélation je lui ai dit ″mais vous étiez au courant du projet ?″, il m’a répondu que le petit lui en avait parlé et qu’il n’avait pas pu l’en empêcher. » Enfin, la suite du témoignage de Brunel pourrait continuer de faire état d’un Cordier s’adaptant aux événements (outre l’assassinat de Darlan, dont il prend acte, en ne souhaitant pas s’appesantir à faire valoir que son élimination aurait dû se cantonner à être politique, l’échec du comte à prendre le pouvoir et l’installation confirmée de Giraud au haut-commissariat, lequel a refusé la grâce de Fernand) : « le 28 ou le 29 décembre, à la Brasserie des Facultés (…) Cordier m’a déclaré que le jeune homme avait déjà essayé de tuer l’amiral Darlan dans la matinée, mais qu’il n’avait pas vu l’amiral, heureusement ajoutait-il, car le révolver avait été essayé à midi par Bonnier qui s’est aperçu qu’il ne fonctionnait pas. Il avait alors changé d’arme et que celle de l’après-midi était un 7.65. » (Voituriez, p. 303 et 305) (La dernière précision cherche-t-elle à rectifier ce qu’a propagé la presse : un 6,35, ou suggère-t-elle que ce n’était pas l’arme de Sabatier, en tout cas un 7,65, que possédait Bonnier, le matin ?) La très forte réticence (et encore pourrait-il ne s’agir que d’un euphémisme) de l’abbé – ainsi, d’ailleurs, que d’Henri d’Astier, quoique, dans son cas, peut-être moindre, et surtout révolue, depuis la visite de son frère – à faire assassiner l’amiral est encore corroborée par un échange entre l’abbé et Faivre, au domicile des d’Astier, en fin de matinée du 22 décembre, en présence d’Henri, Louise et Jean-Bernard d’Astier, que relate Mario, dans son ouvrage : « — François d’Astier nous a apporté le message de de Gaulle, nous ignorons si d’autres que lui sont au courant. — Penses-tu [Faivre tutoie l’abbé] que cette consigne devait être donnée de toute façon, ou seulement en cas d’échec des pourparlers ? Cordier est debout, raide, figé. — L’échec était certain, les pourparlers n’ont été que le prétexte à la venue du général d’Astier, dit-il presque sans desserrer les dents [Notons, au passage, que la remarque est très importante, car elle laisse entendre que les tractations de Pose avec le comte, d’une part, et, d’autre part, avec les présidents des conseils généraux, procédaient d’une intention gaulliste]. Henri et moi avons espéré à tort. — Le mot élimination ne prête-t-il pas à diverses interprétations ? Il a l’air surpris du terme. — C’est un euphémisme d’Henri. En réalité c’est un ordre d’exécution. Je lui dis que je suis d’accord et que je vais me rendre à la ferme Demangeat pour une rapide mise au point de l’opération [Yves Demangeat est un ami d’Henri d’Astier qui, depuis la fin novembre, met une partie de sa ferme, au lieu-dit Mour Laïn, au cap Matifou, à la disposition du Corps franc]. Il m’arrête. — Non, ce n’est pas ce qu’il faut faire. » Sur ce, arrive Marc Jacquet, qui propose une action d’un groupe d’officiers volontaires, qui arrêteraient, jugeraient et fusilleraient Darlan, sur-le-champ. À quoi Cordier répond par sa fameuse formule : « C’est impossible, il faut faire en sorte que ne puissent être mis en cause ni la Résistance, ni de Gaulle, ni le comte de Paris. Ce doit être classé comme l’acte d’un isolé. Il faut quelqu’un de très décidé. » Puis, Jacquet étant reparti du domicile des d’Astier, l’abbé expose son fameux plan à Mario. (cf. Nous avons tué Darlan, III) Le fait que l’exposé du plan a lieu après le départ de Jacquet est un détail qui, selon notre hypothèse, peut avoir une grande importance, Jacquet étant gaulliste et peut-être même, comme nous croyons l’avoir compris, agent gaulliste et pseudo royaliste infiltré en Afrique du Nord. Comme ils l’ont déclaré et argumenté, au moins à deux reprises, entre la mi-novembre et la mi-décembre, en réponse au sous-lieutenant Gendron du Corps franc qui venait leur renouveler sa proposition de passer à l’action pour éliminer physiquement Darlan, aussi bien Cordier que d’Astier étaient opposés à l’assassinat du haut-commissaire (cf. Vergez-Chaignon, p. 147 et 155). Bien que Jacquet ait pu paraître, à l’occasion, se conformer à leur avis – ainsi, « vers le 15 décembre », lorsqu’il déclare à Alain de Sérigny que l’amiral est prêt à laisser son poste, si on le lui demande, l’ambassade de Washington pouvant alors lui être offerte (finale qui n’est pas pour garantir la sincérité du propos : un gouvernement gaullo-monarchiste, comme celui qui était prévu – dont au moins les trois-quarts des membres sont gaullistes, comme nous l’avons vu – nommant Darlan ambassadeur aux Etats-Unis !) (cf. Echos d’Alger, p. 150) – il n’en reste pas moins évident que, par-delà même son caractère exubérant qui pourrait l’avoir conduit à commettre des imprudences ou des bévues, Jacquet a tenu un rôle de jusqu’au-boutiste, certainement plus gaulliste que monarchiste (ne serait-ce que tellement il était évident à tout observateur sérieux qu’un assassinat politique ne pouvait que nuire aux ambitions du prince), depuis sa lettre à Henri d’Astier du 16 novembre jusqu’à son annonce de l’assassinat imminent du haut-commissaire à Beau de Loménie, le 22 décembre.