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Réinvestigation

Sur la base de sources publiques, retour sur des affaires restées énigmatiques.


L'ASSASSINAT DE FRANÇOIS DARLAN (XXI)

Publié le 14 Septembre 2024, 15:41pm

 

 

La loi du 13 août 1940 interdisait les sociétés secrètes, et celle du 11 août 1941 allait la renforcer, en étant promulguée sous la vice-présidence de l’amiral, afin d’interdire la fonction publique aux membres de telles sociétés et d’obliger à la publication de leurs noms. Au demeurant, indépendamment de notre hypothèse, deux éléments pouvaient limiter, chez Darlan, la crainte de révélations le concernant : d’une part, l’appartenance secrète étant dans la nature d’une organisation qui ne procède pas « au grand jour » – état dont procède son irresponsabilité – la solidarité entre francs-maçons, qui était tout autant dans sa nature (ce qu’essaya, d’ailleurs, d’enrayer la loi de 1941), ne pouvait que la renforcer. D’autre part, il était permis à un franc-maçon de rester à son poste, s’il déclarait avoir renoncé à son appartenance (…quitte à mentir, comme Georges Revers… et peut-être – à condition de mettre en doute son témoignage cité plus haut – comme Camille Chautemps, premier vice-président du Conseil présidé par le Maréchal, auquel il déclare, fin juillet 1940, sur un ton désinvolte, que son engagement maçonnique était un « péché de jeunesse »… qui l’avait pourtant conduit au 33ème degré, comme lui rétorque habilement le chef de l’Etat : à bien lire ce témoignage recueilli du Maréchal par René Gillouin, au moment où il vient de croiser Chautemps sortant du bureau du chef de l’Etat et de trouver ce dernier en train de rire de la déclaration du sortant et de sa propre répartie, il n’y est pas question, de la part de Chautemps, d’un déni d’appartenance persistante à la franc-maçonnerie, mais plutôt d’une réponse semi-plaisante et semi-dédaigneuse à une requête du Maréchal, et qui se laisse parfaitement compléter, de la façon dont le fait Chautemps dans ses mémoires, où il ne relate pas cette partie de l’échange… qu’il a pu juger peu flatteuse aussi bien pour son image de franc-maçon que pour son image tout court. De son côté, Darlan pourrait avoir déclaré renoncer à son appartenance maçonnique, lors d’un tête-à-tête avec le maréchal, pour éviter que – vraie ou fausse – cette déclaration, qui aurait donc été l’aveu d’une appartenance passée, ne nuise à l’image du gouvernement, n’entame sa cohérence, son image ou sa crédibilité, aux yeux du public. Pour autant, le 31 octobre 1941, en ouverture de la séance du Conseil dont Darlan est le vice-président depuis une dizaine de mois, le Maréchal exige de tous ses ministres une déclaration écrite de non-affiliation passée et présente à la franc-maçonnerie, demande de clarification qui, selon le ministre des Transports Jean Berthelot, qui rapporte la scène, aurait visé essentiellement, sinon exclusivement, l’amiral, lequel, comme tous les autres ministres, s’est soumis à la demande, en signant sa déclaration. Certains, raconte toujours Berthelot, avaient fait courir dans l’entourage du chef de l’Etat la rumeur de son affiliation maçonnique, ce sur quoi, « au cours d’un déjeuner, il nous a dit, de son ton le plus caustique : Il y a des citoyens qui ont été raconter au Maréchal que j’étais franc-maçon ; j’ai pu me procurer copie de mon dossier : il est vierge.″ »Sur les rails du pouvoir, p. 197, Gillouin, J’étais l’ami du Maréchal, p. 51 – Un an plus tard, le 5 octobre 1942, il écrit au Maréchal : « je n’ai pas été (…) surpris d’apprendre l’existence d’un factum qui doit vous être remis et qui me présente comme le Chef d’un complot de Francs-Maçons, appuyés par M. Maurice Sarraut, et par la Dépêche de Toulouse, M. l’amiral de Belot, Préfet des Pyrénées-Orientales, étant (détail comique) le truchement utilisé entre les conjurés et moi-même. » – Belot que Darlan avait nommé à son poste de préfet – cité par Docteur, p. 236). Précisons que, à l’indulgence légale s’ajoutait la loi du 10 novembre 1941 créant une commission d’examen des demandes individuelles de dérogation. (cf. Boncompain, Je brûlerai ma gloire, p. 219-235)

Le 31 juillet 1940, bien que sans doute encore plus soupçonnable d’appartenance à la franc-maçonnerie que ne l’était Darlan, Laval avait averti l’ambassadeur des Etats-Unis, Robert Murphy, qu’il allait interdire la franc-maçonnerie, en avançant, sans doute pour l’amadouer, l’idée que « les francs-maçons français diffèrent radicalement des américains » (cité par Boncompain, ibid., p. 230). Comme Darlan, il paraissait donc en accord avec la volonté ferme et explicite du maréchal et de son entourage en la matière ; le maréchal pour qui, selon son chef de cabinet civil, Moulin de Labarthète, il s’agissait de la priorité absolue, constitutive de la priorité qu’était le soulagement des peines des Français : « Ce n’était point par cléricalisme, précise encore Labarthète, mais par souci d’hygiène civique, que nous souhaitions porter un coup à l’hydre aux mille têtes. » (cité par Boncompain, p. 219) Si, le 1er août 1940, Abetz, en déplacement au quartier général d’Hitler, à Obersalzberg, informait ses supérieurs que Pétain n’a donné aucune suite à un projet allemand d’interdiction de la franc-maçonnerie, c’est que le Maréchal demeure fidèle à son habitude de ne jamais paraître agir sous la pression ou à l’initiative de l’occupant. Il accepte, trois jours plus tard, comme ordre du jour du Conseil des ministres, le projet de dissolution de la franc-maçonnerie, dont il entend ainsi bien faire comprendre qu’il s’agit d’un projet français. Pour en revenir à l’argument de Laval distinguant franc-maçonnerie française et franc-maçonnerie étasunienne, il trouve un éclairage chez un spécialiste de la question, démissionnaire de la franc-maçonnerie en 1931, Jean Marquès-Rivière : « La maçonnerie américaine est sensiblement différente de la maçonnerie anglaise [qui, depuis l’origine, détermine celle française] pour les raisons suivantes : au lieu d’être une institution liée à la politique du gouvernement, elle est une institution privée et décentralisée ; elle reflète ensuite [à travers ses diverses loges] les conditions locales européennes et elle porte la trace des crises politiques américaines. » (Documents maçonniques de novembre 1941, p. 19) Ajoutons qu’elle est souvent décrite comme une organisation mondaine et philanthropique d’où le débat d’idées, la concertation et le projet politiques et l’affairisme sont bannis. La qualification de « club mondain » est paradoxalement la façon dont entendent présenter la franc-maçonnerie entière, ceux, à commencer par les francs-maçons eux-mêmes, qui la tiennent pour une simple société fermée, dont les membres sont cooptés, mais sans que cela permette de savoir si les activités y répondent aux critères étasuniens susmentionnés… Si l’on considère l’argument avancé par Laval comme n’étant pas anodin, il tendrait à indiquer que celui-ci ne suivait pas le maréchal par simple opportunisme, d’autant plus qu’il pouvait aussi chercher à ménager, cette fois bel et bien par opportunisme, une puissance occidentale (potentiellement alliée de la Grande-Bretagne) qui n’était pas encore entrée en guerre. D’un autre côté, l’argument des deux franc-maçonneries peut être considéré comme douteux, la franc-maçonnerie étant une organisation internationale dont l’origine, le soubassement et l’orientation ont tout lieu d’être estimés uniques, comme le corrobore, d’ailleurs, le fait que la quasi-totalité des francs-maçons étasuniens sont officiellement (ou historiquement) affiliés à la Grande loge unie d’Angleterre (cf. Boncompain, p. 211). Un spécialiste italien des sociétés secrètes parle du « système des vases communicants maçonniques », et, plus largement, du « système des vases communicants, phénomène constant entre les diverses sociétés secrètes » (Epiphanius, Maçonnerie et sectes secrètes). Au demeurant, de retour au pouvoir en avril 1942, après seize mois de vice-présidence du Conseil par Darlan, Laval s’attache aussitôt à amoindrir les effets de la législation des années précédentes, d’une part, en établissant un système de dérogations et d’exemptions amplifiant la loi du 10 novembre 1941 – dont, du reste, Darlan n’avait que très peu usée – la loi du 19 août 1942 créant, à cet effet, une commission spéciale pour réintégrer des francs-maçons dans la fonction publique, d’autre part, en supprimant, dès la fin d’avril, la police antimaçonnique (il supprime, dans le même temps, celle antijuive : pluralité et compartimentation des polices qui avaient été voulues et mises sur pied par Darlan), et, par la loi du 21 juin, en plaçant directement sous son autorité tous les services antimaçonniques, dont il délègue la direction, à deux reprises, dans le but continuel d’atténuer la répression… le premier délégué ayant été l’amiral Platon, l’adjoint de l’amiral Abrial lors de la bataille de Dunkerque de juin 1940, Platon qui, à la déconvenue du vice-président (qui avait peut-être misé sur le fait qu’il était protestant), s’était mis à appliquer scrupuleusement la législation antimaçonnique, selon les volontés du Maréchal, en allant jusqu’à demander l’abrogation des lois du 21 juin et du 19 août…

Journaliste et philosophe royaliste très au fait des questions politiques, connaissance d’Henri d’Astier auquel il laissa un vif souvenir (Geoffroy d’Astier les présente tous deux comme amis), Pierre Boutang vivait, depuis octobre 1941, à Rabat. Pendant le premier trimestre 1943, il allait être, dans le gouvernement Giraud, le directeur de cabinet d’une autre de ses connaissances, Jean Rigault, qui venait d’être confirmé à son poste de secrétaire aux Affaires politiques. Comme nous l’avons dit, Boutang tenait l’amiral pour « lié aux idéologies de la IIIème république et de la franc-maçonnerie » (Chantérac, ibid., p. 213), ce qui, précisément, n’en ferait pas, à proprement parler, un franc-maçon. La proximité de d’Astier et de Boutang est d’autant plus importante à considérer que, comme nous l’avons vu, le second avait cherché à dissuader le premier d’avoir recours à l’assassinat politique, qu’il considérait comme inappropriée à la lignée capétienne, aux pratiques de laquelle il la jugeait étrangère ; conseil qui, ajouté au fait qu’il n’aurait pas tenu l’amiral pour franc-maçon (mais seulement lié à l’idéologie maçonnique), peut sembler enlever du crédit à la thèse selon laquelle Henri d’Astier travaillait à un complot monarchiste. Du reste, le vénérable de la loge d’Alger s’était déclaré favorable au remplacement de Darlan par le comte, lequel note, dans ses mémoires : « le désordre des esprits et l’ambiguïté des intentions dépassaient, de loin, tout ce que j’imaginais. Il n’en était pas moins vrai que les communautés musulmanes, juives, puis, franc-maçonnes venaient m’apporter leur appui sans réticence, ce qui me confortait dans mon entreprise. » (p. 198) (On note, au passage, que les communautés franc-maçonnes n’avaient manifestement pas cessé d’exister, en tant que constituées, et de jouir d’un certain droit de cité) Cependant, deux des principaux traits du caractère de d’Astier étaient sa légèreté et son impulsivité, qui ne pouvaient pas le détourner d’une occasion d’agir, quelle qu’elle pût être. Boutang le décrit comme « un homme d’une grande pureté sans scrupules. Il pensait restaurer la monarchie en faisant la place nette. » (Royaliste, n° 310) Dans ses mémoires, Louis Joxe fait un constat similaire, en évoquant le comportement de d’Astier, les jours précédant l’assassinat : « Je soupçonnais déjà qu’il avait voulu faire une opération politique éliminant tous ceux qui pouvaient le gêner pour rester seul en utilisant la confusion qu’il avait lui-même créée. » (cité par Vergez-Chaignon, p. 189) Au demeurant, Boutang – tout comme le comte lui-même, dans ses Mémoires puis devant Xavier Walter – comme nous l’avons dit, considérera que c’est l’assassinat de Darlan qui a empêché Henri d’Orléans d’accéder au pouvoir (Comme le rappelle Mario Faivre, le comte, qui avait séjourné à Alger, jusqu’à l’avant-veille de l’assassinat, et résidait, depuis, à Sidi-Ferruch, à une vingtaine de kilomètres, était trop proche géographiquement du complot, pour ne pas y paraître impliqué). Autant de considérations qui invitent à se demander si – conformément, d’ailleurs, au jugement d’Henri d’Astier rapporté par Faivre (cf. supra), et nonobstant l’avis de Joxe qui déclare avoir eu « la nette impression » que d’Astier « a voulu se servir » des gaullistes – ce n’était pas le but visé par les commanditaires de l’assassinat, en plus de l’élimination politique de l’amiral : se servir du comte comme d’un Cheval de Troie, pour pénétrer la citadelle nord-africaine où De Gaulle n’avait, jusque-là, pas droit de cité… un Cheval de Troie que l’on finirait par démolir et par brûler…

Ministres de la IIIème république, Laval et Darlan avaient évolué dans un milieu où les francs-maçons étaient nombreux et très influents. Devant les préfets, le 25 septembre 1942, pour manifester qu’il se démarquait des intentions du maréchal, Laval déclarait : « J’ai vécu avec eux et je fais ce que je peux pour les protéger. » Eu égard au point de vue que nous nous apprêtons à exposer, il se pourrait que l’appartenance ou non à la franc-maçonnerie de l’individu Darlan n’ait pas été déterminante, mais plutôt celle de son entourage. Coutau-Bégarie et Huan ajoutent : « Ce qui est exact, en revanche, c’est qu’il a constamment été au contact de francs-maçons [à commencer par son père] (…) il n’a sans doute jamais été initié et est resté prudemment à la marge, utilisant ses relations maçonniques sans s’affilier ». L’un de ses principaux collaborateurs, sinon le principal – puisque secrétaire d’Etat à la Marine – dont il avait insisté pour que soit assuré son avancement, l’amiral Auphan, était catholique pratiquant, allant à la messe tous les jours, et n’était aucunement porté à quelque complaisance ou compromission avec la franc-maçonnerie (et encore s’agit-il d’un euphémisme). D’un autre côté, concernant le contexte de l’Afrique du Nord, Pierre Ordioni note, en compte-rendu de la deuxième réunion du Conseil d’Empire, le 30 novembre 1942 (Conseil composé du haut-commissaire, Darlan, du vice-haut-commissaire, Bergeret, du commandant en chef des armées, Giraud, du gouverneur général de l’Algérie, Châtel, de celui de l’Afrique de l’ouest française, Boisson, et du résident général au Maroc, Noguès, qui tous avaient, ce jour-là, à discuter de la constitution à donner à la fédération de l’Empire, qui ne sera officiellement créé, et avec elle le Conseil, que le lendemain) : « Pour les victimes des lois contre les membres des sociétés secrètes, pas de difficultés ; tout le monde est d’accord pour procéder sans bruit à leur réintégration. D’ailleurs, me dit en souriant M. Châtel, l’Algérie est une colonie que la République a toujours confiée à de hauts dignitaires de la maçonnerie. C’est sans doute pour ça qu’elle a cet esprit petit-bourgeois. » (Tout commence à Alger, p. 454) (réintégration de francs-maçons dans la fonction publique qui ne signifie pas la légalisation de leur société, qui demeure officiellement dissoute). Si, dans une note rédigée en février 1941, le vice-président du Conseil de la France se donnait pour tâche la « lutte serrée contre (…) les maçons », objectif qu’il avait toujours en vue dans une note du 21 juillet récapitulant les difficultés auxquelles était confronté le gouvernement, dont la suivante : « les francs-maçons sont les adversaires déterminés du gouvernement », d’un autre côté, à la même époque, l’ambassadeur Leahy, remarque que, souvent, il affirmait parler ou agir au nom du maréchal, alors qu’il n’en était rien (on tiendra compte aussi du témoignage de son ministre Bouthillier, à propos de ses écrits, que nous citons plus bas), tandis que le diplomate Antoine Delenda note dans son journal, à la date du 31 juillet : « Les francs-maçons continuent de se soutenir entre eux en dépit de la guerre que l’on fait officiellement aux sociétés secrètes. Le régime est aussi pourri, sinon plus qu’avant…» On pourra gloser sur l’emploi des parenthèses pour l’adverbe : signifient-elles qu’il n’y a même pas, ou à peine, de lutte affichée ? Ou bien que, l’office étant tenu par les francs-maçons, c’est abuser de mots que de parler de lutte d’eux-mêmes contre eux-mêmes ? (cf. Coutau-Bégarie, ibid., p. 480 et 497, Michel, François Darlan, p. 136-137, Boncompain, ibid., p. 231). Les deux hypothèses sont également appuyées par ce qu’écrivait le comte de Paris au vice-président du Conseil, qui n’était autre que Darlan, le 5 septembre 1941 : « Je suis obligé de constater par moi-même aussi bien par le canal de ceux qui s’en font l’écho auprès de moi, que les déviations apportées à l’œuvre du Maréchal se multiplient dans les faits au fur et à mesure que celle-ci se développe dans les principes. Je ne saurais l’attribuer qu’au mauvais vouloir ou à l’incompréhension d’exécutants que couvrent de très hautes personnalités et qu’étayent les organisations maçonniques dont les éléments les plus agissants sont restés aux postes essentiels. L’immunité dont ceux-ci jouissent en général, les faibles ou tardives sanctions qui frappent toujours des comparses et épargnent ceux que l’opinion unanime désigne, provoquent le découragement croissant des bonnes volontés faisant place bientôt à la déception, puis au doute. » (Lettres et notes de l’amiral Darlan, p. 746-747)

Que peut valoir ce qu’écrivait le vice-président du Conseil, dans la préface au numéro 2 des Documents maçonniques, paru en novembre 1941, au regard de sa décision ultérieure, au Conseil d’Empire, que nous venons de mentionner, bien que celle-ci ne concernât que des personnes, prises isolément, et non des groupements ? Les circonstances – par exemple, l’abondance de francs-maçons en Algérie et, plus largement, dans l’Empire, comparativement à la métropole, ou encore la présence étasunienne, ou encore la nécessité de pallier la rareté du personnel administratif – auraient-elles subitement impliqué d’avoir à revenir sur une déclaration qu’auraient eu nécessitée, quelques mois auparavant, d’autres circonstances : par exemple, la proximité du maréchal et de son entourage ou encore la présence en métropole d’organisations secrètes – ce qu’elles ne pouvaient qu’être – de la résistance hostiles à Vichy, qu’il pouvait être tentant d’amalgamer implicitement au danger d’organisations séculaires ? En novembre 1941, s’adressant aux directeurs et rédacteurs des Documents et à leurs lecteurs, Darlan écrivait :

« Comme l’a dit le Maréchal, le relèvement national ne peut se faire qu’au grand jour.

À l’heure où l’union de tous les Français conditionne ce relèvement, il convient que disparaissent toutes les organisations qui pesaient directement ou indirectement et d’une manière illicite sur les destinées du pays.

Le gouvernement actuel, conscient de ses responsabilités, est décidé à ne tolérer aucun mot d’ordre secret émanant de groupements irresponsables.

J’approuve donc l’œuvre que vous poursuivez afin de donner à l’union des Français une base solide de justice et de discipline. »

En définitive, ne serait-il pas judicieux de s’en remettre à l’avis de l’observateur minutieux et habitué du pouvoir algérien de l’époque, aussi bien civil que militaire, qu’était Pierre Ordioni ? Ainsi parle du haut-commissaire de la France en Afrique celui qui, rappelons-le, exerçait, auprès de lui, la fonction de représentant du gouverneur d’Algérie : « S’il ne s’est jamais fait initier Franc-Maçon, c’est sans doute pour avoir été frappé de voir son père tiraillé entre les tendances s’affrontant à l’intérieur du Grand Orient [notamment lors de l’affaire Dreyfus], subir des pressions telles qu’ayant perdu son indépendance, il avait préféré se démettre de sa charge, devenue impossible à remplir, de ministre de la Justice. Il [le fils] avait gardé une horreur manifeste des sociétés secrètes. » (Le pouvoir militaire en France, II, p. 463) Le mot le plus important dans ce témoignage, qui lui donne toute sa puissance et sa véracité, est bien sûr le mot « manifeste », employé, redisons-le, par un témoin de premier plan. Si, en 1897, le père avait préféré démissionner de son ministère plutôt que de la franc-maçonnerie, alors même que la raison en serait venu principalement de cette dernière (réputée ne pas pardonner une défection), le fils n’était donc aucunement enclin à s’engager sur cette voie, et l’on sait – ce qui vient à l’appui du propos d’Ordioni – qu’en mars-avril 1942, l’amiral s’est résolument employé (malgré quelques moments de découragement) à conserver son poste de vice-président du Conseil, jusqu’à ce que ses appuis externes (l’amiral Leahy) et internes, ainsi que sa détermination ne suffisent plus à contrer l’offensive de Laval, auquel, s’il cède finalement le pouvoir, sans même rester au gouvernement, c’est notamment pour ne pas se retrouver dans la position d’être son subordonné, en l’occurrence, le subordonné d’un homme dont on a lieu de penser qu’il était franc-maçon (cf. Coutau-Bégarie et Huan, p. 529-544).

 

 

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