4 - Le contexte
Le 13 novembre, de commandant en chef des forces françaises qu’il était jusque-là, François Darlan avait, avec l’accord du maréchal Pétain, des gouverneurs d’Afrique du Nord et du général Giraud, pris les fonctions de haut-commissaire de la France pour l’Afrique du Nord et celles de commandant en chef des forces françaises dans l’Empire, et avait laissé le commandement en chef des forces terrestres et aériennes en Afrique au général Giraud, placé désormais directement sous son autorité. Ce changement avait eu lieu, dans la foulée du débarquement de l’armée étasunienne au Maroc et en Algérie (le 8 novembre), du cessez-le-feu accordé par l’amiral à cette dernière (en deux temps : le 8, pour Alger, le 10, pour toute l’Afrique du Nord) et de l’invasion de la zone métropolitaine libre par les Allemands (le 11) – invasion qui avait été une réponse au débarquement étasunien qu’Hitler avait jugé remettre en cause les fondements de l’armistice, au contraire de Pétain qui jugeait purement et simplement que c’était l’invasion de la zone libre qui contrevenait aux conventions de cette dernière. Le débarquement avait décidé le maréchal à prendre le commandement en chef des armées, qu’il estimait ne plus pouvoir être assuré par Darlan, puisqu’il le pensait désormais prisonnier des Américains. Cette prise de commandement lui avait été suggérée par l’amiral Auphan, le secrétaire d’État à la Marine, qui jugeait que l’amiral de Laborde, commandant la flotte de Toulon, n’accepterait d’appareiller que sur l’ordre du maréchal. Le 10, face à ce qu’il estimait être la menace américano-giraudiste – pour ne pas dire simplement giraudiste – et l’épuisement des forces françaises face à celles débarquées, et surtout face au spectacle rassurant de la puissance militaire déployée par le débarquement, qui rendait quasiment impossible un échec face aux Allemands, Darlan avait déclaré le cessez-le-feu et avait invité (car ne pouvant plus donner d’ordre, ayant perdu le commandement en chef des armées) l’amiral de Laborde à appareiller pour l’Afrique du Nord, afin de soustraire la flotte aux Allemands (Présent à Vichy, du 8 au 12, par suite d’une convocation de Pétain, Weygand avait vivement conseillé au maréchal de donner l’ordre d’appareillage, mais ce dernier avait refusé, pour ne pas enfreindre l’armistice, dont, dans le même temps, il admettait pourtant qu’elle venait d’être enfreinte par les Allemands). De son côté, conditionné par la visite en cours de Laval à Hitler (que, par un appel du second au premier, dans la soirée du 8, ce dernier avait été prié d’effectuer), visite de laquelle pouvait résulter la libération de prisonniers français, quoique ce gain pût être conditionné à l’acceptation de l’entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne contre les Anglo-saxons (qui était le motif premier pour lequel Hitler s’adressait à Laval, ce jour-là, d’abord par message transmis par le ministre allemand à Vichy, en milieu de journée, puis, face au peu d’empressement de Laval, par convocation à Berchtesgaden), Pétain n’ose pas approuver officiellement Darlan, ni se rendre lui-même à Alger (la raison première, plusieurs fois exprimée par le Maréchal, étant son souhait de rester près des Français, dans la métropole occupée, et alors qu’il sait que Darlan est très attaché à respecter son autorité, celle d’un chef d’Etat ultrapopulaire en Afrique). Il préfère déclarer qu’il le désapprouve, et lui envoie, à cette occasion, un télégramme, par voie ordinaire : « J’avais donné l’ordre de se défendre contre l’agresseur. Je maintiens mon ordre. » Très ébranlé par le désaveu officiel et son remplacement à la tête des armées (d’autant plus que, ayant craint des complications, il avait hésité à prendre le titre de haut-commissaire et de commandant en chef dans l’Empire), Darlan obtempère, en annonçant qu’il va annuler l’ordre de cessez-le-feu (que l’avait encouragé à donner le général Juin, commandant en chef des forces françaises en Afrique – trois jours avant de n’être plus que commandant des forces terrestres, sous l’autorité directe de Giraud) et qu’il va se constituer prisonnier des Américains. Ce sur quoi, à Vichy, l’amiral Auphan convainc Pétain de communiquer à Darlan ses intentions réelles, en usant d’un code secret ordinairement utilisé pour les affaires privées (et dont, le 9, Darlan avait commencé à se servir, pour les affaires publiques, après en avoir, d’ailleurs, laissé la clé à l’amiral Fenard, avant de quitter Alger, fin octobre, afin que ce dernier puisse l’informer de l’état de son fils malade). In extremis, Darlan est alors informé que la position officielle du maréchal s’explique par des négociations en cours avec les Allemands. Pour autant, le croyant prisonnier des Américains, Pétain nomme le résident général de France au Maroc, le général Noguès, son « seul représentant en Afrique du Nord ». De nouveau, Auphan tempère auprès de Darlan, en l’informant de la raison exacte de cette décision.
Habilement, les Allemands n’ont pas procédé à l’arrestation ni au placement en résidence surveillée du maréchal, qu’ils ont promis de respecter, mais qui aura inévitablement son pouvoir encore diminué ; ils cherchent ainsi à éviter de précipiter ou d’occasionner le basculement du pouvoir aussi bien vers Alger qu’à Alger même. À l’envoyé du général Noguès, le capitaine Bataille, arrivé à Vichy, le 11 novembre, Pétain déclare, juste avant que le capitaine ne puisse reprendre, de justesse, l’avion pour le Maroc, les Allemands étant en train de s’emparer de l’aérodrome : « En raison du fait que l’amiral Darlan n’est plus libre de ses décisions, j’ai décidé de confier tous mes pouvoirs au général Noguès pour la conduite de l’Afrique, dans la sauvegarde des intérêts de la France (…) Vous lui direz dans quelle situation je vous ai reçu : à la limite de ma liberté. Il ne recevra plus d’instructions valables de mon gouvernement ou de moi-même. » Au retour de Bataille, porteur de la déclaration, confirmée par télégramme, Noguès répond qu’il accepte sa nouvelle nomination, mais que, à l’invitation de Darlan, il va se rendre à Alger, et que, à la suite de cette rencontre, il informera le maréchal s’il y a lieu de faire stopper les négociations entre l’amiral et les Américains. En fait, dès le 12, avant même de s’envoler pour Alger, il avertit, par lettre, le maréchal qu’il lui semble préférable de ne pas entraver ces négociations, sauf à risquer d’amoindrir le prestige de la France et de perdre certaines positions acquises (Sans doute pense-t-il, d’une part, à l’Armée d’Afrique mise sur pied par le général Weygand – Weygand dont les généraux Prioux et Giraud seront les véritables relayeurs de l’action – armée qui risquerait de s’épuiser vainement contre celle étasunienne, alors même que celle-ci est désormais une garantie de non-invasion par les armées allemande et italienne, et, d’autre part, à l’approvisionnement américain qui risquerait de cesser, en représailles, enfin, au risque que le général De Gaulle n’en profite pour s’immiscer dans le dispositif et les ambitions anglo-américaines en Afrique du Nord. En novembre 1941, après avoir été notamment informés des contacts entre Weygand et les Étasuniens – contacts qui avaient débouché sur une aide économique à l’Afrique – les Allemands avaient obtenu de Darlan, alors vice-président du Conseil, l’éviction du général de son poste de délégué général en Afrique et son départ du continent africain. Par la même occasion, Darlan avait supprimé le poste de délégué général en Afrique, en remettant le commandement de l’armée d’Afrique au général Juin, et le commandement civil à l’amiral Fenard, déjà secrétaire de Weygand mais désormais secrétaire général permanent en Afrique française. En outre, le poste de gouverneur d’Algérie qu’occupait aussi, depuis juillet, Weygand, était passé dans les mains d’Yves Chatel. Un an plus tôt, en octobre 1940, le départ de Weygand du gouvernement avait eu lieu sous la pression de Laval, et, ironie du sort, selon l’ambassadeur allemand Otto Abetz, son action de redressement en Afrique, à son nouveau poste, fut, deux mois plus tard, « la vraie raison » de l’éviction de Laval du gouvernement, le gouvernement – en tête duquel Pétain – n’ayant pas voulu prendre le risque que l’Afrique du Nord, sur le point de devenir puissante et exigeante, se sépare de la métropole, en réaction à la politique collaborationniste du vice-président du Conseil, jugement d’Abetz dont on remarque qu’il reprend celui de Hitler mentionné dans le compte rendu fait par l’amiral Darlan de son entrevue avec le chancelier, à Beauvais, le 25 décembre 1940 – cf. L’amiral Darlan parle, p. 265. Risque de sécession de l’Afrique du Nord qui avait pourtant été ressenti et combattu par le gouvernement de Vichy, et notamment par son ministre de la Défense Weygand lui-même, dès juin 1940, après que le résident général du Maroc Noguès, suivi par l’amiral Esteva et le gouverneur général Boisson, eurent pensé à lui pour « conduire la défense nationale dans le cadre de l’empire », projet auquel la signature de l’armistice avait mis un terme – Kammerer, p. 22 – et risque dont aura fait état, une nouvelle fois, Weygand, cette fois à l’encontre de Darlan, lors de la réunion du Conseil du 6 juin 1942, selon le rapport fait à Abetz par Fernand de Brinon, le ministre français auprès du haut-commandement allemand à Paris – cf. Weygand, Mémoires III, p. 340-341 et 408, note 2, et Melton, Darlan, p. 157 et 171. Le jugement d’Abetz et de Hitler, ainsi que ceux de Weygand, sont corroborés par le témoignage du général Juin, selon lequel le gouvernement de Vichy a décentralisé le pouvoir en Afrique du Nord, en le confiant à trois hommes – Fenard, Chatel et lui-même – « pour prévenir le risque d’une sécession en Afrique instituée et décidée par un seul homme ». Dans ses mémoires, Weygand ignore totalement avoir eu quelque velléité ou projet de sécession, considérant même qu’il relevait de sa mission de l’empêcher – cf. p. 425 et 461. Motif d’éviction de Laval que ne retiennent ni Péan, ni Boncompain, dans leurs ouvrages respectifs, p. 238 et p. 496-506).
Le 13 novembre, après avoir rencontré, la veille, Darlan, Noguès déclare publiquement : « J’ai constaté que l’amiral avait repris possession de sa liberté. J’ai constaté que nous étions en pleine communion d’idées sur la conduite à tenir. En conséquence, au nom du Maréchal et en accord avec lui, je remets mes pouvoirs entre les mains de l’amiral Darlan. Je me range à ses ordres. » Auparavant, la veille au soir, Noguès avait, bien sûr, demandé, par télégramme, son avis au maréchal, qui, ne pouvant obtenir celui des Allemands, contactés en début de matinée du 13 (et dont la réponse ne vint jamais), donne néanmoins sa réponse, en début d’après-midi du même jour, par un télégramme de l’amiral Auphan, usant du même code secret que les deux précédents : « Accord intime Maréchal et Pdt Laval, mais décision officielle soumise à autorités occupantes » (cf. Coutau-Bégarie, ibid., p. 618-619, Moreau, Les derniers jours de Darlan, p. 201, Chantérac, ibid., p. 153-154). Le président du Conseil, Pierre Laval, qui était rentré, en début d’après-midi du 11, de Berchtesgaden – d’où il avait menacé de démissionner, si Darlan n’était pas désavoué – a accepté, cette fois, la cessation des hostilités en Afrique du Nord. En fin d’après-midi, à la sortie du conseil des ministres auquel il vient d’assister, soucieux d’empêcher l’établissement de l’autorité de Giraud en Afrique, il va jusqu’à demander aux Allemands l’autorisation d’investir l’amiral dans des fonctions équivalentes à celles anciennes du général Weygand, et, ce faisant, de rétablir un poste équivalent à celui de délégué général en Afrique, qui avait été supprimé, mais il se heurte à un refus. S’il paraît momentanément jouer en faveur de l’amiral, c’est, outre pour contrer Giraud, qu’il comprend ou devine comme l’assurance d’un prochain gouvernement pro-allié en Afrique française, alors que Darlan, en délégué général, resterait censément en connexion et aux ordres de Vichy, pour désamorcer le risque d’un Darlan s’établissant, lui-même, conformément à l’acte constitutionnel n° 11, en dirigeant doté des pleins-pouvoirs, remplaçant le maréchal empêché de gouverner par l’invasion de la zone libre. Parallèlement, il cherche à convaincre le maréchal de l’impasse que constituerait le retour de l’amiral à la direction des affaires. Alors que lui vient de négocier, une énième fois, avec les Allemands, il rappelle habilement – et paradoxalement, eu égard au jeu subit de l’amiral en faveur des alliés – l’erreur qu’avait faite le chef de l’Etat, presque deux ans plus tôt, en le remplaçant à la vice-présidence du Conseil par un homme qui aura finalement poussé la collaboration outre-mesure, sans presque rien obtenir, en retour, alors que lui n’a toujours fait que pratiquer la politique des petits pas, du donnant-donnant (expression paradoxalement chère à Darlan), au bénéfice de la France et des Français (Pression similaire à celle qu’il avait effectuée, fin mars, trois semaines avant son retour aux affaires, lorsque, revenant d’une rencontre avec Göring à Paris, il avait notamment attiré l’attention du maréchal sur les « maladresses » de l’amiral – cf. Coutau-Bégarie et Huan, p. 531).
Au printemps 1941, l’amiral s’était lancé dans une politique d’accord global avec l’occupant. Son accession à la vice-présidence du Conseil avait eu lieu, en février, après le quasi-intermède de Pierre-Étienne Flandin, et avait été favorisée par la mise en réserve de Laval par Hitler, qui voyait en Darlan l’homme fort de l’Empire ayant à sa disposition la flotte, l’homme qu’il avait rencontré, en tant qu’émissaire du maréchal, à La Ferrière-sur-Epte, le 17 décembre, et que, à cette occasion, il avait fortement impressionné, en le menaçant avec véhémence : « Je déclare solennellement que, pour la dernière fois, j’offre une politique de collaboration à La France. Elle se rendra compte, si elle refuse, qu’elle a pris une des décisions les plus regrettables de son histoire. » La politique de l’amiral avait abouti aux protocoles de Paris, une suite de propositions de collaboration générale – ayant un versant politique et un versant militaire – avec l’Allemagne négociées à partir de mars 1941 et dont la signature n’empêchait pas qu’elles devaient être ensuite discutées et ratifiées, ce qui explique que, signées les 27 et 28 mai, elles purent, ensuite, pour la plupart, être abandonnées, notamment après l’avis du Conseil des ministres improvisé du 3 juin, lors duquel Weygand, présent au titre de Délégué général de la France en Afrique, après avoir écouté l’exposé du vice-président, s’emporte, avertissant qu’il fera ouvrir le feu sur les Allemands, où qu’ils se présentent en Afrique française, hostilité confirmée unanimement, trois jours plus tard, par le Conseil réuni au complet en séance ordinaire, auquel assistent les résidents et gouverneurs généraux convoqués à Vichy pour consultation ; dans les jours et les semaines qui suivent, l’amiral accuse le coup, très conscient de s’être mis dans une mauvaise passe avec les Allemands, comme en ont témoigné les généraux Laure et Weygand et l’amiral Marzin ; un nouveau tournant est une note de sa main datée du 14 juillet – et aussitôt rejetée par Berlin – dans laquelle le vice-président remarque que la prise de la Syrie par les Anglais a été le prix à payer de concessions faites à l’Allemagne, prix dont cette dernière ne se montre nullement redevable à la France, et qu’il n’est donc plus question de renouveler l’opération en Afrique. Trois jours plus tôt, le conseil des ministres avait approuvé une note de Weygand, qui, conscient du changement d’attitude de Darlan, tempérait, à son tour : « Il n’est pas question de rompre avec l’Allemagne. Aussi bien la continuation des négociations commencées est-elle indispensable à notre renforcement militaire. Mais tenir très haut nos exigences politiques – et tenir bon. Nous ne sommes pas pressés. » (citée par Coutau-Bégarie et Huan, p. 435) L’abandon des propositions n’aura finalement lieu que progressivement jusqu’au jour de décembre où, en conseil des ministres, l’amiral Michelier expose le bilan des discussions tripartites France-Allemagne-Italie qu’il vient de mener, depuis le début de novembre, à Rome, en marge – et en contravention – de la commission de Wiesbaden, dont il présidait, il y a peu encore, la représentation française : « La négociation en cours, dépourvue de contreparties sérieuses, du fait de la disparition des clauses politiques, est désastreuse pour nous. Lorsqu’une négociation revêt ce caractère, on la rompt » ; ce sur quoi le vice-président lui fait remettre une feuille de bloc-notes sur lequel il vient d’écrire à l’encre rouge : « rompre les négociations », relative discrétion du procédé pouvant s’expliquer par le fait que l’intégralité des paroles prononcées en conseil des ministres ont la réputation de parvenir aux oreilles des Allemands. Puis Darlan charge Michelier de présenter à la commission d’armistice, le 21 décembre, un mémorandum concluant que les négociations politiques et les négociations militaires ne pourront désormais avoir lieu que séparément, autrement dit que celles politiques devront enfin avoir vraiment lieu, afin que les deux pays soient mis sur un pied d’égalité (les négociations politiques avaient précisément été voulues par la France, dans le but d’obtenir une meilleure reconnaissance par l’occupant) « C’est ce jour-là, 21 décembre 1941, que les protocoles de mai furent définitivement enterrés. Ils ne furent plus exhumés dans la suite » observe l’amiral Docteur (cf. p. 129-131). Ce retardement de la fin des protocoles s’explique notamment par le fait que, ayant été impressionné par les premiers succès de l’offensive contre la Russie commencée à la fin de juin, l’amiral n’avait pas souhaité les abandonner brusquement, s’étant mis à craindre que la France ne fasse l’intégralité des frais d’une paix qui allait possiblement être conclue à l’Ouest, autrement dit en premier lieu avec l’Angleterre (cf. Berthelot, ch. XI).
De ces protocoles la France n’aura tiré que peu de bénéfices, au regard de ceux de la partie adverse : d’un côté, la libération de 30 000 prisonniers de guerre, dont celle du général Juin, contre 90 000 prévus, la réduction des indemnités d’occupation d’un quart, que Paris décida unilatéralement d’appliquer et que Berlin traîna à avaliser – alors que son compte à la Banque de France, où les indemnités étaient versées, offrait un fort excédent inutilisé, qui allait bientôt servir abondamment à la construction du mur de l’Atlantique – le réarmement en hommes et en matériel d’unités militaires africaines, déjà prévu par l’armistice mais jusqu’alors empêché ; de l’autre côté, en contrepartie, la livraison accrue de matières premières et de matériel de guerre, le resserrement du contrôle de l’économie et des finances (dont l’un des effets était d’annuler la réduction des indemnités d’occupation), la fourniture de moyens logistiques en Syrie et en Tunisie, notamment le transit de matériel de guerre allemand et de provisions à bord de navires français et sous contrôle d’officiers allemands en civil, dans le port de Bizerte, et l’utilisation de bases aériennes en Syrie, dans le but de soutenir l’insurrection en Irak. Si l’opposition déterminée du général Weygand, appuyé par Pétain, et le conseil de membres de l’entourage de Darlan entraînèrent finalement l’abandon de la plupart des protocoles, dont celui concernant Bizerte, l’amiral fut néanmoins placé devant le fait accompli, en Syrie, et devant sa conséquence, que fut, dès juin, la perte de ce protectorat et de celui du Liban, envahis par les Britanniques. Selon Jean Berthelot, « il s’est senti rejeté, condamné par les Allemands, dès juillet 1941, et c’est de cette date qu’il redevint leur ennemi déclaré (…) » ; époque où l’amiral Marzin le trouve très durement éprouvé, « ne cachant pas sa rancœur devant la dureté des Allemands, qui barrait la route à un rapprochement » (cité par Coutau-Bégarie et Huan, p. 438). Les deux constatent qu’il envisage de quitter le gouvernement, alors que, d’un autre côté, se profilent ses premières tentatives de rapprochement avec Roosevelt, qui, selon l’amiral Fenard, auront lieu en octobre. En mars 1942, au large des côtes tunisienne et algérienne, les Anglais trouveront une nouvelle occasion de réagir, par bombardements, torpillages et interceptions de navires, cette fois, face à la reprise rapide du transport de carburant et de matériel, qui se conformait à l’accord de Rome du 3 février ; répliques anglaises qui amplifiaient le désastre de Mers-el-Kébir et dont l’amiral sut se servir pour convaincre les Allemands de ne pas répéter ou prolonger leur action, et pour les convaincre de permettre une intensification du réarmement de l’Empire, en leur présentant l’Afrique du Nord comme étant, dans le cas contraire, gravement menacée par une intervention britannique. Le 3 décembre 1941, lors d’un dîner avec l’amiral Schultze, à Paris, Darlan manifeste, de nouveau, son intention de collaborer, mais, cette fois, d’une manifestation toute superficielle, comme s’il s’ingéniait à donner à son convive des renseignements dont il aurait su qu’il en disposait déjà (comme il l’avait, d’ailleurs, déjà fait, à la fin du printemps et au début de l’été, pour tenter de sauver la vie du lieutenant de vaisseau Henri-Honoré d’Estienne d’Orves, parachuté en métropole, arrêté, puis condamné à mort, en représailles de l’assassinat d’un aspirant de la Kriegsmarine par des communistes) ; exercice recommencé, le 28 janvier, à Évry, en présence, cette fois, du grand amiral Raeder, chef du commandement supérieur de la marine de guerre allemande, qui se laisse persuader que « Darlan a la volonté sincère de faire entrer, le moment venu, la flotte française dans le combat contre la Grande-Bretagne », bonne disposition qui ne débouche sur aucun réel avantage, sinon pour les Français, sans aucune contrepartie pour les Allemands : la libération des marins travaillant dans les ports de la zone occupée, qui pourront rejoindre celle non occupée, et la nomination d’un amiral français pour les administrer et commander la marine en zone occupée. Lors des deux dîners, l’amiral et vice-président du Conseil français a surtout laissé paraître le véritable motif de son apparente proximité avec l’occupant : sa détestation de l’Angleterre – sur laquelle nous reviendrons – Raeder et lui étant, d’ailleurs, convenus, ensemble, à cette occasion, que les Anglais ont toujours été « des hypocrites et des menteurs » (cf. Kammerer, ibid. p. 92-94, Coutau-Bégarie, ibid., p. 421-424 et 519-523).