8) D’un vestibule l’autre :
Toute la scène impliquant notamment Truly et Baker – allant de leur irruption dans le TSBD à leur rencontre avec Oswald, dans le vestibule de la salle à manger, au 1er étage – n’est mentionnée, pour la première fois, que dans un rapport du FBI daté du 25 novembre, dans lequel l’agent James Bookhout est censé rapporté le contenu d’un interrogatoire d’Oswald du 22. En outre, plutôt rares sont les témoins présents sur Elm Street à dire avoir vu Baker entrer dans le bâtiment ; ce que peut, néanmoins, facilement expliquer le fait que le pôle d’attraction du public était très éloigné et dans une autre direction que son arrivée, qui plus est, à contre-jour, ce qui nécessitait, chez beaucoup, de viser, en plissant les yeux, et d’utiliser les mains en abat-jour, quand d’autres ou les mêmes ont pu se tourner, un instant, vers leurs voisins, pour échanger quelques mots, comme Joe Molina – qui déclarera au HSCA se souvenir de n’avoir vu entrer que Truly – n’exclut pas l’avoir fait ; autant de détails dont la plupart sont prouvés, outre par les photos d’Altgens, par la séquence du film de Jimmy Darnell, dont nous parlerons. Pour autant, ces témoins existent bel et bien : Roy Truly, le directeur du TSBD qui allait accompagner Baker sans tarder à l’intérieur du bâtiment, après l’avoir vu y entrer, témoignera toujours invariablement l’avoir rejoint, après l’avoir vu y entrer (depuis ses deux premières auditions par la police de Dallas et le FBI du 23 novembre et celle par le Secret Service du 4 décembre, jusqu’à celle par la commission Warren) ; Mrs Pauline Sanders, qui se trouvait en haut de l’escalier d’entrée, dira avoir vu « en quelque dix secondes (within a matter of ten seconds) un officier de police en uniforme et en casque blanc entrer dans le bâtiment, en courant » (cf. rapport de son audition par le FBI du 24 novembre) ; Billy Lovelady, qui, en compagnie de Shelley, juste après les tirs, s’était éloigné d’une vingtaine de mètres de l’escalier d’entrée, sur l’impasse longeant le bâtiment en direction du Grassy Knoll, dira s’être retourné, parce que quelqu’un venait de hurler, et avoir alors « vu [Truly] et le policier entrer dans le bâtiment, en courant » (procès-verbal de son audition par la commission Warren) ; Carolyn Walther, qui se trouvait sur le trottoir est de Houston Street, à environ vingt mètres de l’intersection d’Elm Street, dira avoir vu un policier « lâcher sa moto et courir immédiatement vers l’intérieur du Dépôt [de livres] » (Barry Ernest, « The girl on the stairs », p. 82) ; enfin, Robert Jackson, photographe présent dans le cortège, déclarera avoir vu « un policier se diriger vers la porte du Dépôt » (procès-verbal de son audition par la commission Warren). Par ailleurs, viennent étayer la présence de Baker à pied et sa réaction, deux séquences de deux films tournés par des caméramans présents dans le cortège, l’une – de Jimmy Darnell – tournée environ quarante secondes après le passage de la voiture présidentielle devant le TSBD, montrant un policier en casque blanc courir vers l’entrée du TSBD et y entrer, l’autre – de Malcolm Couch – tournée environ trente secondes après le passage de la voiture, montrant une partie de la ruée du policier et une moto de police arrêtée sans personne dessus ni à côté, en face du TSBD, sur Elm Street.
La question qui peut paraître rester en suspens est de savoir ce qu’a fait Baker, ainsi que Truly, immédiatement après être entré dans le bâtiment. Un article du Dallas Morning News du 23 novembre parle de la rencontre de « Truly et un policier de Dallas » avec Oswald dans « un débarras (ou salle de stockage) au rez-de-chaussée » (« a storage room on the first floor »), information partiellement corroborée par un article du New York Herald Tribune du même jour qui parle d’un Oswald vu par plusieurs témoins, dont le sous-directeur Ochus Campbell, dans « a small storage room on the ground floor », qui pourrait être le local situé sous les escaliers sud-est, dans l’espace intérieur de l’entrée principale nommé vestibule (« lobby », « hallway », « vestibule »), Oswald qui n’aurait ensuite pas tardé à disparaître (Campbell venait d’assister au passage du cortège présidentiel, en compagnie de Truly, depuis le trottoir nord d’Elm Street, à une dizaine de mètres de l’entrée du TSBD, et, comme ce dernier, n’avait pas tardé à rentrer dans le bâtiment). Le rapprochement ne peut manquer d’être fait, premièrement, avec une précision fournie par le rapport d’audition de Truly par le FBI du 22 novembre : « Il [Truly] accompagna l’officier à l’intérieur de l’avant du bâtiment. Ils n’y virent personne » (« he accompanied the officer into the front of the building. They saw no one there »), précision sur laquelle on pourra d’autant plus s’interroger que le rapport fait ensuite directement mention de la ruée des deux hommes vers les ascenseurs arrière, sans aucune considération de la grande salle qu’ils traversent ; deuxièmement, avec ce que, devant la commission Warren, l’inspecteur Harry Holmes rapporte de son interrogatoire d’Oswald du 24 novembre, au cours duquel ce dernier est censé lui avoir déclaré que le policier l’a interpellé « dans le vestibule » situé à « l’entrée avant, au rez-de-chaussée » (« the front entrance to the first floor ») (précision que Holmes n’avait pas fournie dans son rapport daté du 17 décembre) ; enfin, troisièmement, avec la déclaration faite par Jarman Jr., devant le HSCA, selon laquelle Lovelady rapporta, à l’époque, qu’un policier avait arrêté Oswald, qui venait de descendre par les escaliers avant et s’apprêtait à sortir du bâtiment par la porte principale, l’avait repoussé à l’intérieur du bâtiment, puis l’avait identifié, grâce à Truly, avant de le laisser partir. L’homme aperçu pourrait-il être le sosie dont nous avons déjà dit que sa présence au TSBD aurait été plutôt superflue, qui plus est possiblement compromettante ? Ce sosie aurait-il pu faire illusion à des personnes comme Truly et Campbell, bien que la présence d’Oswald comme employé de l’établissement ne datait que d’un peu plus d’un mois ? D’un autre côté, si les deux rencontres du rez-de-chaussée et du 1er étage ont, toutes deux, bien eu lieu, qui plus est la seconde dans la foulée de la première (Baker – tout comme Campbell, d’ailleurs – n’ayant vraisemblablement eu aucune raison de s’attarder à inspecter un individu près de l’entrée, à un endroit si éloigné d’un possible poste de tir, qui plus est, alors que Truly venait de lui dire avoir reconnu en lui l’un de ses employés, comme le précise l’article du Dallas Morning), ne fallait-il pas choisir d’en écarter une pour garantir au public la vraisemblance de la version officielle ? Néanmoins, si, comme nous l’avons vu, Mrs Reid et Carolyn Arnold avaient déjà pu témoigner – la première officiellement, dès le 23, la seconde non officiellement (sa première audition datant du 26) – avoir vu Oswald au 1er étage, la première, très peu de temps après les tirs, la seconde, très peu de temps avant (quoique, d’une part, l’heure que donne Reid pour son propre départ de la salle à manger vers Elm Street – « aux alentours de 12 h. 30 » – comme si elle cherchait à persuader qu’Oswald ne s’y trouvait pas et donc persuader de la fausseté du témoignage d’Arnold, et, d’autre part, le témoignage de Geneva Hine – cf. p. XII – puissent faire s’interroger, quant à savoir quand exactement Reid l’y a rencontré, tout au moins dans ses parages : juste après ou juste avant le passage du cortège présidentiel ? Question qui non seulement ne gêne pas celle plus large que nous sommes en train de poser, mais la renforce, puisqu'elle va même jusqu’à permettre éventuellement à Oswald d’être le « prayer man »), n’aurait-il pas fallu privilégier de retenir la rencontre au rez-de-chaussée, qui, d’une part, pourrait avoir eu plus de témoins, Campbell usant simplement, à son propos, de la formule « Nous le vîmes [Oswald] » (« We saw him »), avec un « nous » qui reste indéfini mais que Mrs Sanders peut aider à comprendre, lorsque le rapport de son interrogatoire par le FBI du 24 novembre lui fait témoigner d’un « vestibule rempli de gens (…) [quand] elle entra dans le bâtiment, moins de cinq minutes après l’explosion [des tirs] » (« lobby crowded with people (…) [when] she entered the building within five minutes of the blast »), qui plus est, en jugeant devoir lui faire préciser que, à cette occasion, « elle n’observa pas Oswald dans le vestibule » (« she did not observe Oswald in the lobby ») ; et rencontre qui, d’autre part, ne pouvait pas autant que celle du 1er étage, corroborer le témoignage si gênant d’Arnold – qui, il est vrai, ne sera jamais officiellement reçu ni encore moins enregistré, tel quel ?
À Anthony Summers, en 1978, Carolyn Arnold précise avoir quitté son bureau, « aux environs de 12 h. 15. Cela peut avoir été légèrement plus tard » (« about 12 : 15. It may have been slightly later ») (« Not in your life time », p. 92). Que cela ait été « plus tard » ne peut faire de doute, si l’on tient compte du témoignage de Mrs Pauline Sanders qui affirme avoir « quitté la salle à manger du 1er étage (2nd floor) à approximativement 12 h. 20 (at approximately 12 : 20) », sans, du reste, y avoir vu Oswald, ce dernier ayant donc dû avoir ensuite le temps d’y prendre place, avant l’arrivée d’Arnold, qui l’y a trouvé seul (cf. procès-verbal de l’audition de Sanders par le FBI du 19 mars 1964, soit le lendemain du second d’Arnold – chronologie qui pourra d’autant plus faire s’interroger que, le 24 novembre, lors d’un premier interrogatoire par le FBI, elle n’avait pas déclaré être passée par la salle manger, mais avoir quitté le bâtiment, dès 11 h. 25…) (cf. page IV). Pour autant, demeurent les témoignages convergents de trois agents (outre celui d’Holmes déjà cité) ayant procédé aux premiers interrogatoires d’Oswald : d’abord, celui du capitaine Fritz, dans une note manuscrite griffonnée (que son auteur dit avoir réalisée, de mémoire, quelques jours après le 22) qui précise que, l’après-midi du 22 novembre, Oswald a déclaré avoir été présent « dehors devant [le TSBD] avec Bill Shelley » (« out with Bill Shelley in front »), au moment du passage du convoi présidentiel ; ensuite, celui de l’agent du FBI James Hosty, dans une note manuscrite datée du 22 novembre (trouvée par Malcolm Blunt aux Archives nationales de Washington), qui rapporte qu’Oswald, étant « allé déjeuner, à midi (at noon) [au rez-de-chaussée], est allé au premier étage (2nd floor) pour se procurer du Coca Cola à consommer avec son déjeuner, et est retourné au rez-de-chaussée pour déjeuner, puis est allé dehors pour voir le cortège présidentiel (then went outside to watch the P. Parade) » ; enfin, celui du rapport du même Hosty et de son collègue James Bookhout, daté du 23 novembre, reprenant le contenu du précédent témoignage, mais en se contentant de mentionner la présence d’Oswald « au rez-de-chaussée, quand le Président John F. Kennedy est passé devant le bâtiment [du TSBD] », sans parler de sortie du bâtiment. Ces témoignages n’infirment pas nécessairement une longue présence d’Oswald au 1er étage, entre 12 h. 15 et 12 h. 33, dans la mesure où il est facile de supposer que ce dernier ait menti aux trois agents dans l’intention de se dégager de toute suspicion de participation à l’attentat, alors même que, qui plus est, comme nous l’avons vu, il pourrait n’avoir que partiellement menti, en ayant ajouté le fait (non avéré) d’avoir assisté au passage du convoi présidentiel au fait (avéré) d’avoir été présent au rez-de-chaussée, jusqu’à au moins midi (notamment dans la salle des dominos, qui servait de salle de déjeuner au personnel non administratif). D’ailleurs, le rapport de l’interrogatoire du matin du 23 rédigé par l’agent du Secret Service Thomas Kelley, mentionne que, à la question que celui-ci venait de lui poser, Oswald répondit n’avoir pas vu le cortège présidentiel (Nous avons déjà relevé, à propos du moyen de locomotion employé pour se rendre à son domicile, le changement de position opéré par Oswald entre le 22 et le 23, qui suggère qu’il a été, entretemps, manipulé). Du reste, le fameux « doorway man » figurant sur la photo n° 6 d’Altgens, homme se tenant debout dans la partie ouest de l’embrasure de l’entrée du TSBD et regardant en direction de la Lincoln présidentielle, que certains mettent ou ont mis en avant pour appuyer les précédents témoignages (y compris celui du premier procès-verbal d’Arnold), semble bien avoir été Billy Lovelady, l’implantation capillaire de l’individu, notamment au niveau temporal, interdisant qu’il ait pu s’agir d’Oswald mais pointant assurément en direction du premier, dont les traits auraient cependant été brouillés par la mauvaise définition de l’image ; lequel, devant la commission Warren, affirme avoir été présent sur la marche supérieure (« top step ») de l’entrée du TSBD, pour y déjeuner, assis, et pour ensuite assister au passage du convoi présidentiel – ce qu’il n’a pu faire que debout, comme, entre autres, la photo d’Altgens ne permettrait pas d’en douter (il n’y avait pas moins de treize personnes disposées debout sur les marches de l’escalier d’entrée, chaque rang ne pouvant qu’obstruer la vue d’une personne qui aurait été assise au rang supérieur, quoique, il est vrai, la partie ouest des escaliers paraît très dégarnie, sur le film de Wiegman, le plus proche dans le temps des tirs, et alors que, devant le FBI, le 18 mars 1964, Shelley déclare que, « au moment où on a tiré sur le Président John F. Kennedy (…) Lovelady (…) était assis sur les marches d’entrée juste en face de [lui] » (« At the time President John F. Kennedy was shot (…) Billy N. Lovelady (…) was seated on the entrance steps just in front of me »).
Mais il reste encore l’hypothèse du « prayer man », personnage se tenant debout, dans l’ombre de l’angle ouest (nord-ouest, s’il est besoin de le préciser) de l’embrasure de l’entrée du TSBD, les mains rassemblées (ou quasiment) et ramenées sur la poitrine, comme s’il priait (d’où son surnom), que montrent deux séquences de films tournés en noir et blanc par Jimmy Darnell (depuis la 8ème voiture suivant celle présidentielle) et un autre caméraman présent dans le cortège, Dave Wiegman (descendu de la 6ème voiture suiveuse, à l’angle de Houston Street et Elm Street) (la seconde séquence ayant été tournée environ 20 secondes après la prise de photo d’Altgens, et la première, environ 35 secondes, le « prayer man » semblant n’avoir, entretemps, bougé, tout au plus, que les avant-bras, qui paraissent plus élevés sur le film de Wiegman que sur celui de Darnell). L’individu est en chemise ample et plutôt sombre, à manches courtes ou retroussées, et peut paraître un peu trop large d’épaules, voire corpulent (peut-être un simple effet de l’ampleur de la chemise), pour avoir été Oswald, bien que Marina Oswald ait affirmé avoir reconnu son mari, lors d’une interview téléphonique par Ed Ledoux, en 2018 (soit cinq ans après qu’une amie à elle, Keya Morgan, eut déclaré à la presse que, depuis la fin des années 1970, elle était convaincue de la fausseté de la version officielle et, notamment, que son mari n’était pas l’assassin du Président, et qu’elle vivait, depuis lors, en recluse, craignant fortement d’avoir à revenir sous le jour médiatique et craignant tout aussi fortement pour sa vie ; aussi ne peut-on exclure qu’elle ait menti à propos du « prayer man », afin d’enlever du crédit à son rejet de la version officielle et ainsi se protéger). La distance de prise de vue et la faible définition des images (seules des copies des films originaux étant à la disposition du public) ne permettent pas de déterminer s’il s’agit assurément d’un homme ou d’une femme, quoique la première hypothèse soit la plus probable (nonobstant que certains chercheurs soutiennent qu’il s’agit de l’employée Sarah Stanton), ni si les mains sont simplement au contact l’une de l’autre ou si elles tiennent quelque chose : pourrait-il s’agir d’une bouteille de soda (celle qu’est censé avoir acquise Oswald au distributeur du premier étage), le changement de hauteur des mains cadrant bien avec le geste de boire ? Mais tient-on, à deux mains, un soda, pendant au moins quinze secondes ? La question serait pertinente, si ce n’était qu’il faille aussi lui ajouter : le boit-on, à deux mains ? Or, l’une des images du film de Wiegman, telles que notamment publiées par Stan Dane (dans son ouvrage « Prayer man – the exoneration of Lee Harvey Oswald », reproduites sur le site éponyme), laisse paraître un avant-bras gauche un peu plus bas que le droit et donc deux mains disjointes, au moment où ce dernier est élevé, à hauteur du menton ? Du reste, tenir une bouteille, à deux mains, aussi longtemps, pourrait éventuellement trahir de l’expectative – mais expectative que justifierait quoi, au moment où la voiture présidentielle et le reste de l’essentiel du cortège sont passés… et que l’inconnu en question n’a même pas cherché à les suivre, du regard, en se déplaçant un peu pour éviter l’embrasure ? Il reste encore l’hypothèse de l’appareil photo, dissimulant éventuellement un système de communication (les affaires d’Oswald retrouvées dans le garage des Paine contenaient un appareil photo d’un genre spécial : un Minox, appareil miniaturisé hors-commerce, réservé, à l’époque, aux espions – cf. WCD 102, p. 76) : la vue sur le cortège, arrivant quasiment de face et ralentissant pour virer sur Elm Street, semble avoir été excellente depuis l’endroit où se trouvait l’inconnu. Mais, du coup, si l’on tient compte de notre observation concernant la photo publiée par Dane, tient-on un appareil photo d’une seule main (au passage, notons qu’il s’agit de la main droite, ce qui constitue un indice pointant vers Oswald, qui était droitier), au moment de le porter ou de l’avoir porté à hauteur d’œil ? Somme toute, à moins d’un appareil de transmission dissimulé dans un faux appareil photo, l’hypothèse de la bouteille de soda ou d’un aliment solide reste la plus probable.
La note de Fritz que nous avons citée n’est pas sans étayer qu’il s’agirait d’Oswald, dans la mesure où la photo n° 6 d’Altgens, qui ne montre pas l’intérieur de l’angle, car dissimulé par l’embrasure, montre Shelley comme étant l’un des figurants les plus proches de cet angle, auquel il tourne le dos. Autre élément pouvant le corroborer : la séquence de Darnell permet de reconnaître quasi certainement, à la même hauteur que le « prayer man » et à moins de deux mètres de lui, Buell Frazier, de profil, au beau milieu de l’entrée, le torse éclairé par le soleil et la tête dans l’ombre projetée par l’embrasure, regardant vers le Triple Underpass, autrement dit vers la Lincoln présidentielle qui s’éloigne ou vient de disparaître sous le tunnel. Or la proximité existentielle d’Oswald et de Frazier (voisins, amis, collègues… à quoi s’ajoute la question que nous avons déjà abordée, page VII : complices en ce 22 novembre 1963 ?) peut venir à l’appui d’une proximité physique, au moment du passage du convoi présidentiel… proximité pourtant niée par Frazier. Dans une interview télévisée, en 2002, il déclare, de façon inédite, qu’Oswald a quitté le bâtiment « par la porte arrière près du quai de chargement » (« by the back door next the loading dock »), ce qu’il déduit du fait de l’avoir vu, « probablement cinq à dix minutes, après l’assassinat », longer le flanc est du TSBD depuis le nord, jusqu’à se trouver l’un et l’autre distants d’environ trois mètres, puis traverser Houston Street et s’engager sur Elm Street, vers l’est, dans une attitude, du reste, tout à fait habituelle, lui faisant penser qu’il allait s’acheter de quoi déjeuner ou quelque chose d’autre (On notera que, comme d’habitude, le témoignage de Frazier semble chercher à produire le double effet contradictoire d’imputation et de blanchiment d’Oswald, tout en n’hésitant pas à enfiler versions ou éléments nouveaux, comme dans la perspective de brouiller les pistes ou de ménager divers intérêts, selon une technique qui aurait été mise au point très tôt : ici, Oswald sort par l'arrière et a une attitude des plus banales, mais ne s’oriente pas moins vers la station du bus dans lequel la version officielle le fait monter). On s’étonnera, bien sûr, que la commission Warren n’est pas tout fait pour recevoir de Frazier un tel témoignage, qui aurait été si favorable aux conclusions de son rapport. Au lieu de cela, devant elle et, plus tard, devant la cour du procès Shaw, Frazier déclarait n’avoir pas vu Oswald, après l’attentat – devant le bureau du shérif, le 22 novembre, il précisait même ne plus l’avoir revu, « après environ 11 h. ». Lors de cette même audition par le bureau du shérif, il déclarait encore : « Je me tenais sur les marches devant le bâtiment, quand le convoi s’approcha et que je le regardai s’éloigner ». Devant le FBI, quatre mois plus tard, il précisait : « J’étais avec William Shelley et Bill Lovelady, quand on tira sur le Président » (Procès-verbal du 18 mars 1964). Devant la commission Warren : « Je me tenais à une marche du sommet [des escaliers] (one step down from the top) (…) autour de la rampe qui court au milieu des escaliers (…) assez près (pretty close) de Mr Shelley et de son employé Billy Lovelady (…) [l’un situé] en arrière de la marche supérieure (back from the top step) (…) [l’autre] un couple de marches en bas de moi (a couple of steps down from me) ». Puis, étrangement, lors du procès Shaw, six ans plus tard : « Je me tenais au sommet des escaliers (at the top of the stairs) », avec « directement en face de moi, en bas des marches (right down in front of me at the bottom of the steps) (…) Billy Shelley et Billy Lovelady », qui ne pouvaient pourtant qu’être sur sa droite, à peu près à la même hauteur que lui, au moment du passage du cortège, comme l’attestent les photos et les témoignages, y compris le sien précité. La photo d’Altgens, prise deux secondes après le passage de la voiture présidentielle devant les marches, et la séquence du film de Wiegman (d’une moindre clarté et netteté que celle de Darnell), tournée à peine dix secondes après ce même passage, ne permettent pas de le distinguer présent en haut des marches, ni ailleurs. Lors d’une conférence donnée en 2013, en faisant implicitement la distinction entre, d’un côté, les prises de vue de Wiegman et d’Altgens, et, de l’autre, celle de Darnell, Frazier déclare avoir été présent dans l’ombre : « I was watching the Parade back in the shadows. You can’t see me, but I was there », explication qu’il avait déjà avancée, devant la commission Warren, à propos de son absence de la photo d’Altgens : « J’étais en arrière, en haut, dans la zone plus ou moins noire » (« I was back up in this more or less black area ») (ce que rend tout à fait possible la profondeur de 1,40 m. du palier et de 1,70 de l’embrasure). Il faut, en effet, comme nous le disions, attendre la séquence du film de Darnell, prise environ trente secondes après celle de Wiegman, pour le distinguer, bien présent, mais, par contre, quand Shelley et Lovelady n’y figurent plus, preuve qu’ils étaient déjà descendus des marches – le film de Couch montrant, d’ailleurs, deux silhouettes longeant le bâtiment du TSBD et qui, selon certains chercheurs, sont les leurs. Par ailleurs, devant la commission Warren, Shelley affirme que Frazier et Lovelady ne furent pas parmi les premiers présents, à ses côtés et ceux de Sarah Stanton notamment, en haut des escaliers, sans préciser si les deux les ont rejoints, en même temps (le second, nonobstant la controverse sur le « doorway man », ayant été quasi certainement présent pour le passage du cortège, comme le rapportent plusieurs témoignages ; devant la commission Warren, il affirme que, après avoir pris le nécessaire pour son déjeuner dans la salle des dominos, il a vu Shelley et Stanton postés dehors, dans l’entrée du TSBD, et qu’il les a rejoints pour déjeuner, ce qui laisse clairement entendre que Frazier l’a fait après lui – en quoi, à ce stade, il n’y a rien d’étonnant ni de suspect, puisque Lovelady l’a fait, environ un quart d’heure avant le passage du convoi). Lors de son audition par le FBI du 18 mars 1964, Shelley dit se souvenir que Frazier était, avec Lovelady, Sarah Stanton et Carolyn Arnold, présent « près [de lui] » (« near me »), sur les marches de l’entrée, au moment du passage du convoi ; de son côté, le lendemain, devant le même FBI, Lovelady dit se souvenir de la présence de Shelley et Stanton, « à côté de [lui] » (« next to me »), au moment du passage, sans mentionner ni Frazier ni Arnold (le premier, il est vrai, ayant pu ne pas être dans son champ de vision, car plutôt derrière lui, et la seconde s’étant trouvée au milieu d’une marche du bas, avec, entre elle et les trois du haut, d’autres personnes, quoique, pour la plupart, situées dans la partie est des escaliers). Pourquoi, six ans après les faits, Frazier aurait-il tenu à ne pas faire état de la présence de Shelley et Lovelady, à sa hauteur, au moment du passage du convoi, s’il avait bien assisté à celui-ci ? A-t-il reconnu ainsi, implicitement, qu’il avait été absent pendant les tirs et qu’il n’avait pu être présent que pour la prise de vue de Darnell, au moment précis où, en effet, Shelley et Lovelady étaient descendus des marches, le premier affirmant, d’ailleurs, n’avoir « rien fait pendant une minute » après les tirs (procès-verbal du FBI du 22 novembre) (rien faire ne signifiant pas nécessairement ne pas descendre quelques marches d’escalier), et le second ne s’être dirigé vers la voie ferrée, avec le premier, qu’ « approximativement trois minutes » après les tirs, quoique sans pouvoir en être sûr (déclaration à la commission Warren) ? Notons, quand même, que la séquence de Wiegman n’est pas sans pouvoir laisser deviner une longue silhouette (comme l’était celle de Frazier), au fond et au milieu de l’embrasure, comme surimprimée au montant vertical de la porte vitrée, ce qui l’empêcherait d’être vraiment distincte. Bien plus, le sommet de cette silhouette fantomatique rappellerait le profil de Frazier orienté sud-ouest de la séquence de Darnell. Somme toute, plus suspectes demeureraient son éclipse de dix minutes au sous-sol, après être rentré dans le bâtiment, et celle de tout l’après-midi, soi-disant pour rendre visite à son beau-père hospitalisé (cf. p. VII).
Que faisait Oswald – si c’est bien lui – dans l’angle de l’entrée et/ou dans un débarras près de celle-ci, quelques minutes après les tirs ? Être positionné dans l’angle ouest de l’embrasure, qui, qui plus est, se trouvait être le seul angle ombreux de l’entrée, n’était-il pas la meilleure position pour attendre la venue d’une personne extérieure à l’établissement avec laquelle il avait rendez-vous et devant arriver par le sud de Houston Street… personne qu’aurait été Ruby, arrivant du siège du Dallas Morning News… quoique, dans ce cas, il n’avait aucune raison, bien au contraire, d’aller se cacher dans un débarras ? En outre, comme nous l’avons déjà suffisamment fait remarquer, une présence d’Oswald ou d’un sosie, dans l’entrée (à l’intérieur ou à l’extérieur), et à ce moment-là, pouvait-elle cadrer avec un Oswald tireur au 5ème étage, au même moment ? Il faudrait, à la rigueur, qu’ayant été le principal, voire le seul, planificateur et exécutant de l’attentat, ou que suspectant qu’on allait essayer de le faire passer pour tel, il eût recruté un parfait sosie pour être présent, à l’entrée du TSBD, et ainsi dissuader qu’on le suspecte… Somme toute, n’est-il pas plus judicieux de tenir les deux articles de presse susmentionnés pour renfermant une erreur de localisation de l’endroit où Oswald a été vu par Baker et Truly, le second divergeant même du premier, quant à l’identité des acteurs de la rencontre, ce qui prouverait bien qu’il s’agit d’articles produits sur la base de rumeurs – au demeurant, la confusion pouvant être facilement faite, par des gens extérieurs à l’établissement, entre le petit vestibule de la salle à manger du 1er étage et un débarras, deux pièces pouvant faire l’objet d’une description très proche, voire similaire ? Quant à la déclaration faite à Holmes, elle pourrait simplement faire état d’une seconde rencontre avec un policier – encore plus anodine que la précédente – au moment de sortir du bâtiment. Pour autant, à la rigueur, le « prayer man » pourrait être Oswald, qui serait descendu de la salle à manger dès 12 h. 30, voire avant, en ayant ainsi contrevenu, d’une manière encore plus forte que nous l’avions supposé, aux consignes qui lui avaient été données. Du même coup, étant donné qu’il devait être désigné comme coupable et unique coupable, il fallait qu’il eût été trouvé, à l’intérieur de l’immeuble… Et où pouvait-il faire escale, trouver un point de chute, en un endroit qui banaliserait sa présence dans l’immeuble, après son action au 5ème étage, si ce n’est dans une salle à manger, près d’un distributeur de boisson ?
La controverse ou pseudo-controverse concernant le « doorway man » – relativement fondée, si, du moins, à la suite du spécialiste en analyse photographique, Jack White, découvreur des falsifications du film de Zapruder et du « badge man » sur une photo de Moorman, on écarte autant Oswald ou un sosie de celui-ci que Lovelady comme candidat (cf. Douglass, « JFK et l’indicible », p. 617) – n’aurait-elle pas été largement alimentée, très tôt, par le souci de détourner l’attention du « prayer man », un « prayer man », de fait, et c’est le cas de le dire, au propre comme au figuré, tenu dans l’ombre ? Un mémorandum de l’agent du FBI Joseph G. Peggs, daté du 26 novembre 1963 et adressé au directeur du bureau texan du FBI, Gordon Shanklin, relaye l’information fournie par le directeur de la WFAA-TV, Mike Shapiro, selon laquelle « un individu » (« an individual ») présent dans les bureaux de l’Associated Press (à laquelle appartenait Altgens) de Pittsburgh (sans doute l’un de ses employés… mais qui pourrait y avoir été un agent infiltré) a relevé la similitude entre un individu présent dans l’entrée du TSBD et Oswald, sur une photo qui venait de parvenir à l’agence, le jour même de l’attentat (soit à un moment où ce dernier n’était tout au plus officiellement soupçonné que d’avoir tué le policier Tippit). Le 25 novembre, la photo fut présentée par un agent du FBI à Truly, qui admit que l’homme en question y ressemblait à Oswald, mais n’était pas Oswald, mais Lovelady, lequel le confirma, le même jour, tout en précisant s’être déjà reconnu, dans des journaux où la photo venait d’être publiée (cf. Larry Rivera, « Altgens6 update – more proof of our timeline » et Warren commission document 385).