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Réinvestigation

Sur la base de sources publiques, retour sur des affaires restées énigmatiques.


LA MORT DE PIERRE BÉRÉGOVOY (I)

Publié par Riparius sur 8 Octobre 2017, 12:40pm

 

La version officielle de la mort de Pierre Bérégovoy est bien connue : l’ancien premier ministre s’est suicidé, en se tirant, à bout touchant, une balle dans la tempe droite, au moyen de l’arme de service de son garde du corps qu’il venait de lui dérober – un revolver 357 Magnum Manurhin, arme de gros calibre, très puissante et très bruyante – une balle qui est ensuite ressortie en haut de la tempe gauche [1], où elle n’a laissé qu’une « blessure [qui] n’est pas impressionnante », selon le témoignage des premiers secouristes arrivés sur les lieux du drame (témoignage rapporté, en style indirect, par un journaliste de la presse écrite). Face à l’invraisemblance de cette version, que ne manquent pas de faire apparaître plusieurs indices (photos, témoignages, etc.), une autre version, qui prône l’assassinat, veut qu’il ait reçu deux balles, l’une comme le prétend la version officielle, l’autre au sommet du crâne. Pourtant, il semble que la version la plus vraisemblable soit celle selon laquelle Pierre Bérégovoy n’a reçu qu’une seule balle, de petit calibre, au sommet du crâne (ou, plus exactement, un peu en avant du sommet, selon un angle que l’on peut estimer, d’après les photos, à environ 10°), une balle qui n’est pas ressortie – du moins, entièrement – et qui a causé d’importants dommages internes. Deux témoignages viennent à l’appui de cette hypothèse. D’une part, celui du médecin urgentiste ayant pris en charge la victime, à son arrivée à l’hôpital de Nevers : « Sur l’écran et les radios, j’ai vu une balle présente dans le crâne de Bérégovoy. Un projectile de petit calibre. » Et, d’autre part, celui d’un médecin pédiatre, qui travaillait, à l’époque, au même hôpital, et qui avait été, dans le passé, collaborateur de Pierre Bérégovoy. Ce médecin affirme avoir vu, sur un cliché de scanner, d’une part, « quelque chose de métallique dans le crâne », quelque chose qu’il identifie comme étant « une enveloppe de balle », et, d’autre part, « le cerveau (...) <tout au moins> la partie antérieure du cerveau très abîmée, plus ou moins liquéfiée » (Notons que ce même médecin semble pourtant admettre la version officielle, bien que, comme il le reconnaît lui-même, il n’ait pu constater, lors de sa visite à la victime – dans un service extérieur au sien – aucun orifice d’impact de balle sur la tête, pour la simple raison que cette dernière était enveloppée d’un bandage). La balle en question pourrait avoir été explosive ou expansive, dans les deux cas une balle faite pour ne laisser quasiment aucune chance de survie, dès lors qu’elle a touché un organe vital.

La seule preuve de blessure dont le public dispose est bien celle d’un impact de balle (ou, à la rigueur, d’autre chose) au sommet du crâne – vraisemblablement un orifice d’entrée et à bout portant ou touchant, étant donné sa taille restreinte (environ 18 mm) et sa forme circulaire, typiques d’une entrée de balle tirée de près ou au contact, et étant donné que, s’il avait été de sortie, celui d’entrée aurait dû se trouver – notamment dans le cas d’un suicide – sous la mâchoire inférieure, la blessure ayant alors sans doute empêché la victime d’essayer de parler, en bougeant les lèvres et la mâchoire, au contraire de ce que l’un des premiers témoins affirma pourtant – et un autre laissa entendre – qu’elle fit, qui plus est, sans qu’aucun des deux ne mentionne d’hémorragie externe dans la bouche (quoique tout en avançant aussi l’argument du secret professionnel pour ne pas s’étendre dans les descriptions). Au demeurant, si cette balle entrée par le sommet du crâne est ressortie, l’orifice de sortie pourrait s’être trouvé dans la région occipitale ou dans celle de la nuque, comme pourrait encore l’étayer le fait que la chemise de la victime n’avait d’ensanglanté que « le col (...) à l’arrière, et très peu devant », selon le témoignage d’une amie du couple Bérégovoy, qui, sur proposition des médecins, qui souhaitaient se débarrasser du vêtement, l'avait récupéré, lors d’une visite à l’hôpital, le soir même du drame, avant de le remettre à la gendarmerie – déjà en possession de la veste – dès le lendemain (consciente que détenir une telle pièce contrevenait aux procédures judiciaires normales, l'enquête ne pouvant alors, en effet, qu'être privée d'indices : outre les taches de sang, d'éventuels plissements, étirements, déchirures ou perforations du tissu et le dépôt de résidus de poudre dont la disposition pouvait indiquer le nombre et la trajectoire des tirs) – tache de sang à l’arrière qui, bien entendu, peut s’expliquer, avant tout, par la situation de la blessure au sommet du crâne et la position allongée sur le dos que la victime n’a probablement jamais cessé d’avoir, jusqu’à son déshabillage, à l’hôpital (Du reste, nous verrons bientôt qu’une autre hypothèse sur la localisation de ce possible orifice de sortie est possible). Qui plus est, cette unique preuve de blessure s’accompagne de ce qui semble bien être (pour autant que le document, dont nous allons préciser la nature, permette d’en juger) une preuve d’absence de blessure sur tout le côté gauche de la tête. Ce qu’il convient donc plutôt d’appeler une double preuve d’une unique entrée de balle est la série de photos du corps étendu sur la civière des pompiers, prise, sans téléobjectif, à une quinzaine de mètres, par un reporter photographe, depuis le chemin de halage, sur la rive opposée, photos montrant le sommet du crâne et le profil gauche ; preuve que vient, au demeurant, étayer, au moins partiellement, une déclaration du Procureur de la République de la Nièvre, faite le lendemain du drame et rapportée en style indirect par un journaliste de la presse radiophonique, selon laquelle le chauffeur et le garde du corps ont découvert Pierre Bérégovoy « la tête maculée de deux étoiles de sang, la première, sous le menton, la seconde, sur le sommet du crâne », déclaration qu’il ignorera, par la suite, et à laquelle il substituera ce qui était devenu la version officielle définitive [2]. Cette unique blessure, seule à être prouvée, s’intègre parfaitement dans la tentative de reconstitution des événements que nous allons proposer et que nous avons établie sur la seule base des informations à la disposition du public.

 

[1] Le 357 Magnum est une arme dont le projectile produit sur la cible – notamment sur un être vivant, dont le composant majoritaire est l’eau, incompressible – un énorme orifice de sortie, excepté dans de rares cas où l’orifice de sortie peut ne pas excéder, ou très peu, le diamètre de la balle, à condition notamment que celle-ci soit chemisée (blindée), autrement dit non expansive. Une balle expansive est une balle qui se déforme ou se fragmente, en pénétrant la cible, ce qui accroît son pouvoir de déchirure (pouvoir vulnérant), tout en diminuant son pouvoir de perforation (pouvoir de pénétration), au contraire d’une balle blindée (balle dont le noyau en plomb est intégralement enveloppé d'une couche de métal dur), qui a un pouvoir de perforation maximal (du moins, parmi les plus élevés, puisqu’elle n’appartient pas à la catégorie encore supérieure, celle des balles dites « perforantes », inadaptées à la police et à la protection des personnalités) et un pouvoir de déchirure minimal (ce qui la fait privilégier par la police et les agents de protection de personnalités, pour un usage non ciblé, à savoir susceptible d’atteindre les organes vitaux d’une personne que, dans l’urgence, on souhaite principalement immobiliser et non tuer, bien que ce type de balle présente aussi le désavantage de pouvoir traverser la cible et d'en atteindre une autre que l'on souhaite épargner – la solution pouvant être alors l'usage de balles semi-blindées, c'est-à-dire de balles dont l'enveloppe est ouverte, à l'avant, ce qui permet à une partie du contenu de se disperser dans la cible, en diminuant, du même coup, le pouvoir de pénétration du projectile) (Notons que, de leur côté, les balles explosives – dont l’efficacité reste statistiquement incertaine – ont un noyau fait d’une matière qui, sous l'effet de l'échauffement occasionné par l'impact, se dilate et fait éclater l’enveloppe). Il est probable que les balles utilisées par le garde du corps de Pierre Bérégovoy étaient blindées ou semi-blindées, quoique peut-être aussi, s'il s'agissait de blindées, à « haute vélocité » (catégorie que pouvait charger le barillet de son 357 Magnum Spécial Police) et donc, outre à pouvoir comprimant accru, à pouvoir déchirant accru, du fait de l’entrée en rotation de la balle, au moment du contact avec la cible (effet de vrille qui est l’une des caractéristiques de ce type de balle), et donc entraînant un orifice de sortie plus gros que l’orifice d’entrée. Pour ce qui est de la description officielle exacte de la blessure de M. Bérégovoy, il convient de se référer à ce qu’est censé avoir déclaré, au téléphone, vers 20 h. 20, le directeur du SAMU de Nevers au réanimateur de garde de l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, où la victime allait être transférée : « L’entrée est pariétale droite et la sortie fronto-polaire antérieure gauche », la trajectoire intracrânienne étant « à direction pariétale ascendant droite oblique en avant et à gauche » ; autrement dit : entrée dans la tempe droite et sortie à l’angle gauche du front, selon une trajectoire en avant légèrement ascendante.

[2] On peut penser que l’« étoile de sang (...) sous le menton », si elle a bien existé, était : soit une blessure superficielle qui aurait été infligée, après le coup de feu fatidique au sommet (lequel aurait été donné à cet endroit, sous la contrainte, comme nous le verrons), afin de maquiller un assassinat en suicide, en donnant à croire à d’éventuels premiers témoins non habilités à examiner le corps (notamment dans le cadre d’une enquête judiciaire), qu’il s’agissait ou pouvait s’agir d’un orifice d’entrée ; soit l’orifice de sortie d’au moins une partie de la balle tirée au sommet, comme pourrait l’étayer le témoignage du pédiatre déjà cité (l’« enveloppe de balle » qu’il mentionne laissant penser qu’il se serait agi d’une balle blindée ou, plus vraisemblablement, semi-blindée, dont le contenu se serait dispersé – hypothèse corroborée par le rapport téléphonique du SAMU, cité dans la note précédente, qui parle de « mitraille ferrique » du projectile dans le cerveau : faux ou vrai, ce rapport – notamment rapporté au témoignage du pédiatre – attesterait donc que les balles contenues dans le 357 Magnum étaient semi-blindées), de même que pourrait encore l’étayer le témoignage des gendarmes enquêteurs disant n’avoir retrouvé qu’une seule balle, sur les deux censées avoir été tirées par le 357 Magnum, mais balle qui aurait donc été de petit calibre (notamment si l’on se réfère au témoignage de l’urgentiste)… et n’aurait donc pu avoir été tirée par le 357, au contraire de celles qui aurait été tirées par Bérégovoy, comme nous l’expliquons plus loin. Cet orifice de sortie sous le menton pourrait être encore corroboré par le témoignage tardif – du moins, tardivement publié (en 2013) – de l’un des tout premiers témoins de la scène du drame (l’infirmière en promenade, dont nous reparlerons), selon lequel il y avait un orifice d’impact de balle à la joue droite (Orifice que le témoin dit avoir identifié comme étant un orifice d’entrée – mais sur cette identification, voir la note 13 ; pour ce qui est de la localisation, il pourrait falloir comprendre : tout en bas de la joue, quasiment sous le menton, et non tout en haut, dernière interprétation que permet pourtant, sans doute intentionnellement, le témoignage, afin de rester compatible avec la version officielle). Au demeurant, la déclaration faite par un ancien directeur du SDECE (service devenu DGSE, sous son mandat, et qu’il dirigea de juin 1981 à novembre 1982), lors d’une conférence devant l’Institut des hautes études de défense nationale, à l’automne 2000, selon laquelle deux balles auraient été retrouvées dans le crâne de la victime, pourrait être à prendre avec précaution, puisqu’on en ignore les sources, de même que les motivations et le but réels… alors qu’elle intervient à une période où se prépare une enquête de la DCRG sur l'affaire (voir note 12). On notera, d’ailleurs, que, tel que l’a rapporté, en exclusivité, une lettre d’information (qui ne semble pas avoir publié ultérieurement d’erratum), le propos contient une erreur : « Deux fait (sic) achoppent : la présence de deux balles dans la tête du Premier ministre et le délai de 2 heures mis par l’hélicoptère pour l’emmener de Neuilly au Val-de-Grâce », étant bien entendu que l’hélicoptère n’a jamais décollé de Neuilly, mais bien de Nevers, pour se poser finalement à l’héliport d’Issy-les-Moulineaux, avant qu’une ambulance ne prenne le relai  : Lapsus du conférencier ? Erreur d’audition du rapporteur ? Erreur de transcription du typographe ? Message codé du conférencier ? Les quatre hypothèses sont étayées, à égalité, par le fait que, dans son ouvrage (p. 264) publié dans l’année précédant sa conférence, cet ancien directeur du SDECE s’étonnait déjà de la lenteur de l’hélicoptère ayant acheminé l’ancien premier ministre vers Paris, hélicoptère qu’il faisait manifestement décoller de Nevers, mais sans aucunement parler du nombre de balles qui auraient touché la victime, ni même du nombre qui aurait été tiré. Bien que les deux premières hypothèses soient les plus probables, on pourra toujours faire le rapprochement avec une autre grossière erreur, elle aussi constitutive de l’un des deux temps d’un même propos, et commise – cette fois, assurément – par un autre ancien directeur du renseignement – celui-là même qui avait en charge les RG, au moment de l’enquête susmentionnée – erreur que nous citons et analysons, à la fin de la note 12. On ajoutera que, en tentant de rattraper son tir imprévu au sommet de la tête par un tir sous le menton, le tueur aurait risqué de produire un deuxième orifice, au sommet de la tête, à moins qu’il n'ait eu en sa possession des munitions particulières, à faible pouvoir pénétrant ; hypothèse qu’infirmerait – au cas où l'on rapprocherait ces deux balles intracrâniennes des deux détonations entendues par les témoins – le fait que ces dernières se sont succédé, à ni trop bref ni trop long intervalle (ce qui exclut, à la fois, un phénomène d’écho produit par un seul tir et un changement de munition, voire d'arme, entre deux tirs). Néanmoins, reste l’hypothèse que toutes les balles utilisées par le tueur auraient été expansives ou semi-blindées et donc peu susceptibles de ressortir du corps, notamment en perforant l’enveloppe crânienne. Quant aux balles tirées par Pierre Bérégovoy, comme nous le verrons, elles ont sans doute été propulsées très loin du lieu de l’agression, probablement à l’est de la route de Sermoise, qui longe le bois – là où se trouvent un autre bois et une prairie parsemée d’étangs – alors que M. Bérégovoy devait faire face au bois, pour parer à la menace, en ne laissant quasiment, derrière lui, que les platanes longeant le chemin de contre-halage (cf. fin de la note 8). Même en supposant qu’elles aient rencontré des troncs d’arbres – tous de faible ou assez faible diamètre, dans le secteur, hormis ceux des platanes longeant le chemin de contre-halage et ceux longeant la route de Sermoise, les premiers étant, comme nous venons de le dire, des arbres auxquels Bérégovoy tournait très probablement le dos – il en aurait probablement fallu plus d’un, pour arrêter des balles tirées par un 357 Magnum Spécial Police qu’était l’arme de service du garde du corps, arme souvent chargée de balles blindées, voire de balles à « haute vélocité », et ce, d’autant plus que, pour les raisons que nous verrons, Bérégovoy devait probablement tirer vers le haut, là où les troncs s’amincissent, voire carrément dans la frondaison.

 

 

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