2) Les hypothèses :
Première hypothèse : le soir tard ou en pleine nuit, un visiteur actionne la sonnette d’entrée. Jambert est tiré de son sommeil (en tout cas, de son lit) et, en pyjama, muni de sa carabine 22 long rifle, va ouvrir à son ou ses visiteurs, qu’il vient très probablement d’identifier, dans la mesure où son fils nous renseigne que, se sachant menacé, il n’ouvrait jamais à un inconnu, en pleine nuit. Étant donné, en effet, la grande méfiance de Jambert pour sa sécurité, du fait, d’une part, des investigations qu’il avait menées et de celles qu’il continuait de mener, et, d’autre part, de la tournure même des événements s’y rapportant, le visiteur est sans doute une connaissance en laquelle il estime n’avoir pas de raison suffisante de se méfier, et qui, éventuellement, se présente comme lui apportant une nouvelle de première importance (par exemple, l’avertissement d’un danger imminent) (Il pourrait même s’agir d’un rendez-vous qui avait été fixé, à l’avance, de façon assez indéterminée, et quant au lieu et quant à l’heure, autrement dit pouvant notamment intervenir à tout moment, ce qui expliquerait que Jambert était en pyjama – voir infra, l’hypothèse de l’exfiltration). Après un début de discussion, le visiteur assomme l’ancien gendarme (ce dont témoigneraient la plaie et l’ecchymose situées au sommet de la tête de la victime, la chute du corps en avant sur un objet anguleux – par exemple, un coin de meuble – ayant ensuite pu occasionner la petite plaie, située juste au-dessus de la partie gauche de la lèvre supérieure, ainsi que, comme dans son prolongement, les deux grandes éraflures parallèles, situées près de la narine gauche, autant de blessures dont rien n’indique qu’elles aient été causées par un projectile d’arme à feu) ; puis, il le transporte dans le sous-sol, avant de le tuer, au moyen du fusil de sa victime, d’une balle dans la tempe gauche, alors que Jambert était droitier et donc sans doute peu disposé à se tirer une balle, de ce côté (la tempe gauche est l’endroit où une première autopsie, effectuée après exhumation, a détecté un orifice entouré d’une probable trace d’enfumage, typique d’une entrée de balle tirée à bout portant et n’ayant donc encore rencontré aucun obstacle, autopsie qui, au demeurant, a aussi découvert les fragments de deux balles de 22 long rifle, dans le crâne), puis au moyen d’une autre dans la bouche (second tir dont on peut supposer qu’il a consisté, outre à s’assurer de la mort de la victime, à tenter maladroitement de rattraper le premier – peut-être en visant son orifice d’entrée, afin d’en faire un orifice de sortie – afin de donner plus de vraisemblance à un suicide à la carabine) (Nous verrons que l’antériorité du tir dans la tempe peut être justifiée, quoique cette justification soit peu compatible avec le fait que la victime se serait laissée transporter, après assommage, jusqu’au sous-sol). Le tout a probablement eu lieu, avec l’aide d’un complice, qui serait donc, lui aussi, entré par l’entrée principale (peut-être après être resté caché, au moment de la réception – auquel cas, si Jambert a refermé à clé la porte, aussitôt après avoir fait entrer son premier visiteur, ce dernier n’a pas eu de mal à aller ouvrir à son complice, notamment s’il a déjà procédé à l’assommage). Au cas où Jambert ne serait pas allé ouvrir, muni de son arme – ce qui est peu probable, notamment si la visite a eu lieu en pleine nuit – ce complice pourrait être allé s’emparer de celle-ci dans la chambre, pendant que l’autre restait près de la victime.
Deuxième hypothèse – qui peut être tenue pour une variante de la première : lors de la discussion de réception, le visiteur demande à voir – ou à montrer – quelque chose qu’il sait ou soupçonne se trouver au sous-sol, là où Jambert, après avoir accepté de l’y conduire, de son plein gré, en ayant éventuellement gardé son arme avec lui, ou après avoir été contraint de l’y conduire – au cas où il n’aurait pas été armé ou aurait eu, en un moment de confiance, laissé, de lui-même, son arme – est finalement assommé (Cette chose à voir ou à montrer pourrait avoir été soit des documents personnels accumulés par le gendarme, dans le cadre de ses enquêtes passées et/ou présentes, soit son fusil – une carabine Gevarm 22 long rifle – qu’il avait transformé en semi-automatique ; auquel cas, il pourrait y avoir eu démonstration de tir, dans le sous-sol, qui, d’ailleurs, servait de stand de tir, stand au fond duquel une cible portant des impacts de balles était accrochée au mur, ce qui pourrait expliquer la présence de tout ou partie des douilles au sol, près du corps – cf. infra) ; l’objet anguleux contre lequel il serait tombé pourrait donc avoir été ce qui, sur une photo prise au moment de la découverte du corps, semble être une table posée à l’envers, le long du mur, à droite du corps de la victime, table dont les quatre pieds massifs et trifaces se dressent vers le haut... et dont, à vrai dire, la position n’est pas sans faire s’interroger : La conséquence d’une bagarre ? Une nécessité de dissimulation du dessus de la table pour la photo ? Au demeurant, selon une journaliste de la presse écrite, au moment de la découverte du corps, « il y a des taches de sang sur un meuble éloigné du corps ».
Troisième hypothèse : il y a eu intrusion au sous-sol, par la porte du garage, d’un ou deux individus, qui y sont entrés pour y faire du bruit, réveiller Jambert et l’y attirer. Ayant entendu du bruit au sous-sol, ce dernier s’arme de sa carabine et, dans un premier temps, soit sort prudemment, par l’entrée principale, pour inspecter, de l’extérieur, l’entrée du garage, soit s’approche de la porte intérieure donnant dans les escaliers descendant au sous-sol. Constatant ou soupçonnant fortement qu’il y a bien intrusion d’individus dans le sous-sol, il se risque à y entrer, à son tour, soit par l’extérieur, soit par l’intérieur (y compris, éventuellement, dans le cas de son inspection par l’extérieur, au cas où il serait ensuite revenu sur ses pas), avant d’y être assommé et tué, comme déjà décrit. Il reste qu’un tel plan d’assassinat eût risqué de ne pas fonctionner : Jambert pouvait se contenter de donner l’alerte, de demander du renfort, plutôt que de s’introduire (au moins, immédiatement) dans le sous-sol, même si une bonne connaissance de sa personnalité, de sa psychologie, pouvait éventuellement permettre de prévoir le contraire, quoiqu’avec une marge d’erreur inévitable. A la rigueur, les intrus pourraient n’avoir été initialement que des cambrioleurs, néanmoins à la recherche de documents dont l’ancien gendarme était en possession. Alerté par le bruit qu’ils auraient eu la maladresse de faire – peut-être en essayant de forcer la serrure de la porte intérieure donnant sur l’appartement – Jambert pourrait être venu à leur rencontre, avant que le drame n’intervienne.
Quatrième hypothèse, sans doute moins probable que les trois précédentes (pour ne pas dire à la limite de l’invraisemblable) : reçu par Jambert, à l’entrée principale, le visiteur engage la conversation avec lui, puis, au bout d’un certain temps, du bruit se fait entendre, au sous-sol, où un second individu, complice, vient d’entrer, avec ou sans effraction. D’autant plus qu’il peut être conditionné par le propos de son premier visiteur, Jambert soupçonne une vraie menace. S’il n’a pas déjà son fusil avec lui, il retourne dans sa chambre pour le prendre, puis, le doigt sur la détente, descend dans le garage, par les escaliers intérieurs, suivi par celui dont il n’a a priori pas de raison de se méfier, voire dont il a toute raison de compter sur l’aide ; lequel, finalement, une fois tous deux arrivés au sous-sol, l’assomme, avant que lui-même ou son complice ne le tuent, comme déjà décrit.
Pour autant, une cinquième hypothèse ne peut pas manquer d’être avancée, étant donné qu’aucune étude balistique n’a été effectuée sur le fusil et les douilles retrouvées au sol, ainsi que sur les résidus de poudre relevés sur la victime (pièces qui, par ailleurs, ont toutes été détruites, soit à la fin de l’été 1997, après clôture de la première enquête, d’une durée de trois semaines – ou, plus exactement, double première enquête, dans la mesure où une première instruction judiciaire pour déterminer les causes de la mort fut d’une durée de moins de deux heures, le matin même du 4 août, une seconde, plus longue, lui succédant quasi immédiatement, dans l’après-midi, pour déterminer les circonstances du suicide, dans les deux cas, sans qu’aucune autopsie n’ait été effectuée – soit trois mois après le 5 novembre 2002, date à laquelle la fille Jambert dépose une requête, auprès du juge d’instruction, pour déterminer les causes de la mort, les sources étant divergentes sur la date de cette destruction), analyse balistique qui aurait été seule en mesure d’établir assurément que les douilles avaient été utilisées par le fusil en question, et ce dernier – voire quelque autre arme que ce soit – par Jambert ; qui plus est, la première autopsie, effectuée après exhumation, en 2004, ayant relevé, dans le crâne, la présence de fragments de projectile portant des rayures de 1,50 mm de large, traces ne correspondant pas aux rainures du canon du fusil censé avoir été celui de Jambert (1,15 mm, à l’état neuf) (type d’analyse dont, au demeurant, la complexité aurait sans doute dû nécessiter des contre-expertises... d’autant plus que l’état du canon, détruit à la fin de l’été 1997, voire à l’hiver 2003, n’avait pu qu’être désormais supposé, selon des références standard, alors que, par exemple, l’intérieur du canon d’un fusil de contrefaçon peut connaître un arasement accéléré). Bien qu’elle ne soit pas sans pouvoir, elle aussi, manquer de vraisemblance, cette cinquième hypothèse – qui, à vrai dire, ne se distingue des deux premières que par le seul fait – qui la rend précisément peu vraisemblable – que les tueurs n’auraient pas eu, d’emblée, l’intention de commettre, au moins intégralement, l’assassinat, au moyen du fusil de la victime – est la suivante : Jambert, non muni de son fusil, depuis le début, ou l’ayant abandonné, car n’étant plus en état d’alerte ou de méfiance, est assommé à l’étage, avant d’être transporté dans le sous-sol, ou bien s’y rend, de son plein gré, avec son visiteur, avant d’y être assommé ; ensuite, il est tué, au moyen d’une balle de petit calibre (probablement celui d’un 22 long rifle : 5,50 mm) – peut-être dans l’urgence (Jambert parvenant à se défendre, ayant même pu être mal assommé, et ne laissant donc pas le temps à ses agresseurs d’aller chercher son propre fusil – voir infra), ce qui rendrait l’hypothèse plus vraisemblable... mais tout en ne permettant plus vraiment de la distinguer de l’une des deux premières, dans la mesure où, comme nous le verrons, celles-ci pourraient elles-mêmes avoir été concernées par une telle urgence. La balle tirée dans la tempe gauche l’aurait donc été par une arme appartenant à l’agresseur, avant que, lors d’une fouille de la maison, ce dernier ne découvre le fusil de sa victime, ou qu’il n’aille sciemment le chercher dans sa chambre ou dans la cuisine, avant de revenir pour s’en servir, afin de déguiser son action en suicide, en tirant une balle dans la bouche (balle dont, étant donné que, pas plus que l’autre, elle ne semble être ressortie, les fragments pourraient n’avoir présenté aucune caractéristique permettant de les distinguer assurément de ceux de la première balle).
Enfin, une sixième hypothèse ne peut pas, elle non plus, être évitée, quoiqu’elle puisse être, a priori, peu probable, notamment pour la raison que Jambert fermait la porte d’entrée de son domicile, au moyen de trois verrous qu’il avait ajoutés à la serrure, et qui pourraient donc n’avoir pas été ouvrables, depuis l’extérieur, au moyen d’une clé, à moins que cet ajout n’eût consisté en celui d’une serrure-crémone à trois verrous remplaçant une serrure simple. L’hypothèse est la suivante : le ou les agresseurs sont entrés, sans bruit et sans effraction – du moins, sans en laisser de traces – par la porte d’entrée principale du domicile – à moins que ce ne soit par la porte du garage – puis sont allés réveiller Jambert, dans sa chambre, et l’ont forcé à descendre au sous-sol, où ils l’ont assommé et tué, avec son arme et/ou avec leur arme, comme déjà décrit (à noter que, s’ils sont passés par la porte du garage, ils ont dû franchir ensuite la porte séparant le garage de l’appartement et qui avait de forte chance d’être elle aussi verrouillée – cf. infra). L’hypothèse qu’ils seraient entrés par la porte du garage laisse néanmoins inexpliqué, si ce n’est inexplicable, le fait que l’entrée principale a été retrouvée ouverte, à moins d’admettre que, dans une certaine précipitation et une certaine appréhension, ils aient préféré effectuer une sortie par cette dernière, qu’ils auraient pu juger moins propice à attirer l’attention et à produire de la suspicion chez de potentiels observateurs extérieurs que ne l’aurait fait une sortie par le garage (dont la porte donnait sur la rue et était, d’ailleurs, située à quelques mètres seulement du corps de la victime). Peut, à la rigueur, venir étayer cette hypothèse, la visite d’un faux représentant de commerce à son domicile, une quinzaine de jours auparavant, visiteur dont Jambert put remarquer que son intention véritable était d’inspecter la maison pour d’autres fins que commerciales et dont il put ensuite s’assurer de la fausse identité, en le prenant en filature. Ce visiteur pourrait avoir cherché à repérer l’endroit où se trouvait la chambre et l’endroit de la chambre où se trouvait le lit, voire aussi, dans le cadre de l’hypothèse d’un projet d’entrée par le garage, si la porte des escaliers descendant au sous-sol était verrouillée et de quelle façon ; quoiqu’on ait plutôt tendance à penser qu’un tel repérage visait surtout à déterminer les endroits susceptibles d’être des caches pour les documents d’enquête personnels dont l’ancien gendarme était en possession, afin de faciliter à un visiteur nocturne la tâche ultérieure de les découvrir – un visiteur nocturne ayant, du reste, certainement opéré, puisque, quelques temps avant cette visite diurne, le domicile avait été victime d’un cambriolage – du moins d’une tentative, puisque seul un volet avait été fracturé, si ce n’est failli l’être – cambriolage ou tentative de cambriolage au cours desquels rien n’avait été dérobé, tel un échec pouvant justifier une approche ultérieure des lieux plus efficace.